Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Regarde dans la boîte à gants"
de Philippa LAUNAY
- "Rien n'est définitif" de Régis
MOULU
- "Carottes et p'tits pois" de Rémi
DANO
- "Florilège et décadence" de
SCRIBUS
- "Un vrai rêve éveillé"
de Janine NOWAK
- "Chouchou" de Françoise MORILLON
- "La tablette, le petit vase et le pinceau"
d'Angeline LAUNAY
- "Pense-bête (ou l'histoire d'une vieille
dame amnésique)"
"Petits poèmes du poisson-poème-messager"
et "Le message de la sirène" de Karine LEROY
- "Mini-dictionnaire des choses de la vie qui nous
hantent, nous enchantent et décantent nos idées"
d'ARGOPHILHEIN
"Regarde
dans la boîte à gants" de Philippa LAUNAY
J'ai trouvé
Ce rouleau
Dans la cave.
Je ne sais pas
Ce qu'il y faisait.
Maintenant,
Tu le déroules.
Il est dans tes mains.
Tu l'as trouvé
Là où je l'ai mis,
Dans la boîte à gants
De la voiture.
Je te vois,
Le rouleau
A la main,
Découvrir
Ce mot d'amour qui se répand
Dans la voiture.
Je ne sais pas
Quand tu l'auras
Découvert,
Comment tu vas
Me le dire.
Si tu vas
Comprendre.
Oui, tu vas
Comprendre.
Tu vas te
Souvenir.
Tu te rappelles ?
Toi aussi,
Si tu l'avais vu,
Ce rouleau
T'aurait fait
Penser à nous.
D'abord sans doute
Parce qu'il est
Roulé sur lui-même.
Je sais qu'il
T'aurait fait
Penser
A nous.
Je ne sais pas
Si tu aurais
Ecrit dessus.
Je ne sais plus
Si on va s'écrire
Encore.
Maintenant
Qu'il y a
La cave
La voiture
Le parc
Les vacances de février
Ton frère
L'arbre à couper
Le dîner
Le week end.
La cave.
Tu te rappelles ?
On se disait
Qu'on s'appellerait
De la cave
Pour se dire
Qu'on se manque.
Cet après-midi,
J'étais dans la cave,
Mais je n'ai pas eu envie
De t'appeler.
Je suis folle de rage
De ne pas avoir eu
Envie de t'appeler.
De t'appeler
Deux étages plus haut.
J'ai regardé
Autour de moi,
Dans la cave.
J'ai trouvé
Ce rouleau.
Une page à laquelle
On aurait laissé
Que la marge.
Une contrainte folle
Qui me rappelle
Les nôtres,
Que nous dépassions
Sans question.
Qui me rappelle
Que nous nous battions
Pour nous donner
Du temps
Une vie
L'éternité.
Qui me rappelle
Que nous savions
Faire des choses
Impossibles.
Lorsque
Tout ce qui nous éloignait
Nous rapprochait.
Tu te rappelles des listes
Que nous avions faites
Le 1er Janvier ?
Les listes de choses
A vivre ensemble.
- Recevoir une lettre
A notre adresse.
- Chercher les clés.
- Soigner une blessure
Pas grave.
On a finalement
Soigné une blessure
Très grave.
Et on ne s'en remet pas.
Ne me dis pas
Que tu t'en remets.
Je te regarde
Chercher
Quelque chose
Que tu as
Désespérément
Trouvé.
Et je ne fais
Même plus semblant
De te répondre
Que tout reste à faire.
La liste a achevé
Les courses
Et nous n'avons plus
Faim.
Les superhéros
Ont sale mine
En vacances.
J'écris cela.
Mais tu le sais.
Nous le savions.
Allons-nous survivre
Au bonheur ?
Comme c'est étrange
D'écrire cette question
Ici.
Mais les grandes questions
S'écrivent dans les détails,
N'est-ce pas ?
Dans le pli
D'un rouleau
Qui trace
L'histoire.
Dans la clandestinité
D'un support
Dérisoire.
J'aimerais
Que nous recommencions
Des listes.
J'aimerais
Poursuivre celle
Du 1er Janvier.
Sur laquelle
Nous pouvons
Déjà barrer
Quelques lignes.
- Recevoir une lettre
A notre adresse.
Ça, c'est fait.
- Chercher les clés.
Ça, c'est fait.
- Te faire livrer
Un poussin vivant
Au bureau.
Ça, c'est fait.
C'est une liste
Plus difficile
A tenir
Que je commence
Ici.
- Arrêter de penser
Que nous sommes
Des superhéros.
- Brûler nos lettres
Pour en écrire d'autres
(ça, je ne pense pas
que j'y arriverai…)
- Ne plus avoir peur
De ma peur
Qui a peur
De ta peur.
- Retrouver
Notre désir.
- Et descendre
Dans la cave,
Te dire que
Tu me manques.
Tu me manques.
Comme l'espace
Manque
A ce rouleau
Pour écrire
Une vraie
Lettre d'amour.
Me manque
L'autre de nous-même
Que nous avons
Laissé à la porte
De cette maison.
Me manque
Le désir.
Me manque
La joie
Que nous avons
Enfermée dans les cartons
De déménagement.
Me manque
Le désir.
Me manque
Le projet
Que nous avons
Achevé
Dans cette vie.
Me manque le désir.
Il y a loin encore
Avant d'arriver
Au bout
Du rouleau.
Je laisse la suite,
Vierge,
Dans tes mains.
Avec l'espoir
De la trouver
Ecrite,
Quelque part,
Dans un endroit
Que j'aime
Et que tu connais.
Avec l'espoir
De nos listes
A venir.
"Rien
n'est définitif" de Régis MOULU, auteur
animateur
Au recto,
Rien n'est définitif,
je ne peux pas croire qu'on puisse s'arrêter…
mais il faut bien ouvrir les yeux…
faire connaissance avec le bord… et l'autre bord,
la vie n'est que détroit…
la meilleure façon d'avancer, c'est encore d'être son propre piéton…
avec des bras qui chassent,
ses mains qui dérapent
et ses doigts qui convoquent,
moi, je n'ai jamais vu l'horizon,
tout s'est toujours déroulé avant que je n'arrive.
Par contre je saisis, je saisis tout,
tout m'émeut à grands coups de pelle,
ça creuse,
je creuse ce trop plein qui m'entoure,
qui m'entoure
qui m'entourloupe !
MAIS, ce n'est pas une vie de creuser !
ça occupe seulement - ça préoccupe surtout…
Et si la vie ne servait qu'à remblayer
- Non, impossible puisqu'on n'en voit pas le bout.
Quelque chose me dit pourtant que j'avance,
l'espoir ne fait pas toujours ses yeux blancs,
son mystère m'étourdit,
tout tient à un fil,
l'amour est, rien que lui, un funambule… qui cherche à perdre pied.
Le cœur rapproche,
l'oreille se tend
et nos gestes anticipent toujours leur grâce
je te regarde,
tu ne cherches qu'à croire,
nos sentiments font une seule soupe,
on se respire,
nul n'a jamais été plus large que son thorax,
la lumière provient de nos yeux,
rien n'est définitif, je te dis !
tu prends ça pour une bonté,
je te réponds que " sans ça, on ne se croiserait pas ",
nos os nous donnent des directions.
Je rêve que le ciel ne ferme plus son accordéon.
Respirons-nous,
ayons la folie d'imaginer
que nous sommes des corps
et que nous avons voulu nous arrêter
entre deux voyages
sur le clin d'œil
tout est si grand,
ayons l'impudeur
de stationner
de revendiquer l'équilibre auquel on a le droit, tout va si vite,
on ne s'est jamais mis d'accord sur ce qu'ensemble on pourrait chercher.
Je te préviens que je suis du genre à aller jusqu'au bout,
façon de parler.
" Que tu évites de voir la sagesse qui m'agite, qui m'excite ! " excuse-moi
pour cet aveu,
jamais je n'arrêterai de t'exciter
au verso,
l'émotion ne s'autopsie pas, c'est un liquide,
le mot "faire" nous donnera sa propulsion,
avec toi, "demain" c'est "maintenant", je comprends que tu chantes.
Tes sons me coiffent,
ta bouche m'habille, je veux partir, accepte que je puisse te représenter,
les hommes résolus n'ont pas de maison, j'ai tout donné,
et ça ne sera jamais assez,
on ne devrait jamais regarder consciemment les oiseaux.
Je crois toujours qu'il pourrait y avoir plus de vertu
dans mon âme.
En réponse à cela, je te remercie d'avoir créé ta douceur.
Mais tout frise dans ce monde, les volumes nous happent
et les changements de température nous avalent.
Donc je reprends : rien n'est définitif sans doute parce
qu'on n'est sûr de rien
et ça ira bien comme ça
car un rien nous va,
ça ira, ça ira !
"Carottes
et p'tits pois" de Rémi DANO
Marabout
Bout de ficelle
Selle de cheval
Cheval de course
Course à pied
Pied de Poule
Ah…
Poule au pot ?
Pot de chambre
Chambre à coucher
Avec moi ?...
Coucher de soleil
Soleil ardent
Ardent désir
Décidément…
Désir d'aimer
Aimer et être aimé
Aimer et être aimé
Aimer et être aimé
Mince…
Aimer et être aimé
Aimer et être aimé
Aimé Jacquet
Ouf !
Quai de Seine
Scène de théâtre
Théâtre de la vie
Vie de chien
Sultan, mon labrador,
Que je salue au passage
Chien de course
Course à pied
Pied à terre
Ce n'est plus de moi !
Terre en friche
Friche, c'est dur
Oui, c'est reparti !
" Duracell "
Selle de cheval
Mais ?! On y revient !
Cheval de trait
Trait d'union
Union sacrée
Sacré Régis
Régis Moulu
Evidemment…
Moulu et Huîtru
Huîtru et bigornu
Nu artistique
Tique de langage
Langage incongru
Grue sur son pied
Pied à terre
Terre de feu
C'est une malédiction !
Feu qui brûle
Brûletin
Ah non ! Pas cette fois !!!
Thym et lauriers
Lauriers de César
César et Brutus
Tu sais, des fois, la vie
Lavis bleu de ciel
Ciel couvert
Vert de gris
Grizzli d'Amérique
Ricochet
Et c'est reparti !
Titi et Gros Minet
Félix, mon chat,
Que je salue au passage
Nez retroussé
Retroussez vos manches
Manche à poêle
Poil de c…
Oh, pardon !
Poil de carotte
Carottes et p'tits pois
J'aime pas ça
Poids des années
Années en danger
Danger de mort
Mort aux trousses
Trousse d'école
Ecole buissonnière
Buissonnière et jardinière
Carottes et p'tits pois
Jardinière surgelée
Surgelez nos envies
Envie de toi besoin de rien
Rien dans les poches
Poches sur les mains
Main de Dieu
Dieu est Amour
Non, non, je ne suis pas engagé…
Amour toujours
Toujours l'amour
Amour toujours
Toujours l'amour
On ne s'en sort pas,
Mais tant que l'on reste dans l'amour !
Amour du prochain
Prochain passage
Passage à gué
Gai luron
Rond de cuir
Cuir de ta peau
Ou cuire dans ton pot ?
Peau de la bête
Bête à cornes
Cornemuse
Muse de l'artiste
L'artiste est en nous
Nous et les autres
Les autres, c'est l'enfer
N'exagérons rien !
L'Enfer et le Paradis
Dis-moi oui
Oui, alors !
L'or de nos vies
Vie au grand air
Air entêtant
Tétant comme le veau
Vos désirs sont les miens
Descendons main dans la main
La verte vallée en s'embrassant
Mien, mien, mien
Mien, tien, sien
Sien qui pointent
C'est ambigu ça…
Pointe à pitre
Pitre dans l'âme
Lame qui tranche
Tronche de cake
Cake aux poires
Poire belle Hélène
Hélène, ma bien aimée,
Que je salue au passage
Hélène tu es belle
Belle de jour comme de nuit
Nuit d'ivresse
Ivresse et rien d'autre
Autres temps, autres mœurs
Meurs avec moi
Mois d'août frileux
C'est le refroidissement climatique
Frileux sous les pulls
Pull doseur
Doseur moins l'quart
Ca devient n'importe quoi, là !
Quart de siècle
Siècle de Lumière
Ca va mieux…
Lumière qui vacille
Cils recourbés
Courbez vos échines
Chine capitaliste
Liste au Père Noël
Noël à Kinshasa
Ca pourrait aller mieux
Merci quand même
Mieux vaut tard que jamais
Jamais sans ma fille
Je n'en ai pas…
Jamais sans ma bien aimée, alors ?
Fille à papa
Papa poule
Poule au pot
Pot de chambre
Tiens, ça me dit quelque chose !
Chambre jaune
Bleue, verte, de toutes les couleurs
Jaune de Damas
Damas et son minaret
Raie de cheveux
J'aurais pu dire autre chose…
Vœux de chasteté
Thé à la menthe
Menthe et framboise
Framboise et citron aussi
Si c'était vrai
Ah, si seulement c'était vrai…
Vrai ou faux
Faux-filet
Carottes et p'tits pois,
J'vais finir par aimer ça !
Filet mignon
Je le prendrai sans légumes…
Mignonne allons voir
Voir si la rose
Rose des sables
Sable d'Olonne
Non, non !
Sables mouvants
Ah oui, c'est mieux !
Vent de terreur
Terreur dans les crèches
Crèche où tu habites
Bite… d'amarrage
Bien sûr !
Rage au ventre
Ventre repu
Repu, pu et repu à nouveau
Que de pouvoir !
Vaut-il mieux ?
Vaut-il mieux pas ?
Myosotis
Tisse ta toile
Toile d'araignée
Araignée du soir
Espoir…
Soir de pleine lune
Lune d'argent
J'en ai connu des bateaux
Ai connu des bateaux
Connu des bateaux
Des bateaux…
Des bateaux-mouches
Mouche tsé-tsé
Elle te pique et tu dors…
T'sais pas la dernière
Dernière danse
Danse, danse, danse
Danse tant que tu peux
Peux-tu si peu de choses ?
Choses à faire ou à voir
Voir, savoir et comprendre
Prendre femme
Femme de porcelaine
Laine qui réchauffe
Chauffe, chauffe mon cœur
Cœur de pierre
Pierre qui roule
Roule jusqu'en bas
Bas de laine
Toujours
Laine de verre
Vers sans pied
Avec chaussures ?
Pied élancé
Lancé sur sa lancée
Lancé franc
Franc tireur
Tireur de ficelles
Selle de cheval
Cette fois-ci,
On est vraiment reparti !
Valeur sûre
Sur le chemin
Mainte et mainte fois
Foie de volaille
Carottes et p'tits pois
Volailles, poules et perdrix
Perdrix, tout est perdrix…
Dritapoquéose
Ose et c'est ce que je fais
Fait d'être, de penser
Pensée, tulipes et coquelicots
Covoiturage dans la prairie
Ris tant que tu peux
Tu ne sais pas
Qui te mangera demain
Avec des carottes et des p'tits pois…
Peu me chaut
Chauds chauds les marrons
Ronds dans les coins
Coins dans les ronds
Ce n'est pas possible, ça !
Ronds dans les carrés
Carré dans les triangles
Triangle dans les Bermudes
Bermuda sur la plage
Plage de nos soupirs
Pire que tout le reste
Reste de pâté
On approche de la fin…
Pâté impérial
Impérial comme l'Asie
Asie : fond, fond, fond !
Fond de caisse
Caisse enregistreuse…
Et tout cela vous fera :
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3 francs 6 sous
rien que cela
Et je ne vous compte pas
Les carottes et les p'tits pois !
"Florilège
et décadence" de SCRIBUS
Les nébuleuses remplissaient l'espace.
Des vagues de brume apparaissaient
puis disparaissaient.
Les vagues se faisaient plus nombreuses
et se rapprochaient de plus en plus.
La navette supersonique M117 de Mikaël II Junior en provenance
de la galaxie périphérique de Saturne et à destination de la terre était
sur le point d'entrer dans l'espace de l'astre bleu. Mikaël appréciait
particulièrement les voyages supersoniques dans d'autres univers. La
galaxie où il vivait s'appelait Sofiapolis, la cité de la sagesse, un
monde où l'individu était sage, honnête, juste, où chacun avait quasiment
atteint son niveau de perfection.
Sofiapolis ou le royaume de la tranquillité.
Une vue aérienne de la capitale, Pacifica, depuis l'aéronef à propulsion
hydrogénique laissait apparaître une cité paisible, aux espaces rectilignes,
parsemés ici et là de touffes verdâtres.
Ni bruit, ni pollution, ni agressivité dans cet univers où les lois
de la physique avaient été menées à leur perfection pour le bonheur
et l'harmonie de tous.
Mais Mikaël n'appréciait plus son univers sans aspérité,
il s'y ennuyait de plus en plus et avait envie d'aventures. Il voulait
découvrir d'autres mondes et façons de vivre. Il y'avait 300 ou 400
ans de cela, il était déjà allé en voyage d'étude sur la terre dans
le cadre de la mission " cartographie de l'univers de l'an 6000 ". La
terre, quel astre merveilleux ! Joyau sur le collier de l'univers, Lumière
bleutée du fond des galaxies. Mikaël se réjouissait de retrouver l'atmosphère
si pure de la terre avec ses souffles tièdes par endroits, impression
saisissante pour un voyageur de l'espace. En effet, les autres planètes
sont souvent inhospitalières, ou trop chaudes ou trop froides ce qui
nécessite l'application de thermoprotocoles. Voyager sur la terre, c'était
au contraire la liberté, la beauté mais aussi un joyeux fouillis qui
ne déplaisait pas à Mikaël. C'est vrai que les terriens ne sont pas
des gens très responsables et raisonnables mais ils sont si sympathiques.
Souvenirs de l'an 6000.
Une multitude de personnes s'agitaient dans des maisons où presque toutes
les lumières étaient éteintes. C'était très gai, il y'avait une musique
très rapide et très forte que je n'avais jamais entendu. Tout le monde
chantait et bougeait. On buvait des boissons très fortes qui tournaient
un peu la tête. Quelle soirée amusante j'avais passé !!
La cartographie de l'an 6000 avait montré que la terre
demeurait l'une des rares planètes avec autant de richesse. L'analyse
de tous les systèmes solaire avait montré une concordance entre l'évolution
des sciences, la sagesse des peuples et l'habitabilité des planètes.
La terre fut alors classée n°5 sur quelques millions de galaxies.
Mikaël se disait que la terre c'était un peu comme
sa résidence secondaire, un autre paradis de l'univers.
Ça y'est ! on entrait dans l'atmosphère. La navette supersonique
procéda à une décélération progressive, traversant peu à peu les couches
de l'atmosphère. Mikaël observait à travers l'écran le nuage ouaté qui
enveloppait la terre. Mais que se passe t-il soudain ? Tout devient
grisâtre, des particules viennent se coller sur les vitres de la vigie.
Mikaël réactive les capteurs immédiatement. Il n'en croit pas ses yeux
!!
CO2 30%
Azote 40%
Oxygène 2%
Ozone partiellement absente
A la lecture de ce dernier paramètre, la navette fut propulsée
plus vite que prévu comme si elle avait accéléré. Mikaël contrôla rapidement
tous les paramètres, les alarmes. Bizarre. Cela ne pouvait venir que
de l'extérieur. Il activa le capteur de la pression atmosphérique, témoin
ultime d'un processus de dégradation en cours. Le résultat s'afficha
immédiatement et l'alarme résonna d'un cri strident.
Pas elle !! Se dit Mikaël
Que s'était-il passé depuis l'an 6000 ?
Mikaël allait bientôt le découvrir…
Avant de se poser, il serait bon de survoler la planète
se dit Mikaël. L'écran octogonal en 3 D s'alluma et fit défiler tour
à tour une multitude de paysages merveilleux : des espaces glacés, blancs
immaculés, enivrants jusqu'au vertige, d'immenses forêts vierges de
toutes traces remplies d'arbres millénaires, mais aussi…
Des concentrations d'habitats opaques, serrés, sombres
parmi lesquels se précipitent une multitude de terriens ainsi que des
habitacles bruyants et dégageant une espèce de fumée noire. Mais aussi…
Des grands espaces en périphérie de ces concentrations
où s'accumule un capharnaüm d'objets, de déchets, de plastiques s'envolant
au vent…
Nous étions en l'an 7000 (an 2010 pour la terre). Que
s'était-il passé pendant ces 1000 ans galactiques ? Quelle puissance
ténébreuse avait détruit la moitié de la terre ou rendu certains territoires
irrespirables ? Quelle était donc cette motivation qui avait poussé
les terriens à ce gâchis ?
Mikaël se connecta aux archives cybernétiques de la terre
pour avoir une traduction rapide et chronologique de l'histoire récente.
L'exposé s'afficha immédiatement : guerre / évolution
des connaissances / révolution industrielle / guerre / modernité / ville
/ richesses / guerre / puissance mondiale / nucléaire / famine / nettoyage
ethnique / argent / pollution / OGM / protection de l'environnement
/ guerre chirurgicale…Mikaël accéléra le résumé puis repris la lecture
: corruption agro-alimentaire / détériorations génétiques / immigration
écologique / gouvernement mondial / surveillance numérique / affrontement
des modernes et des anciens…
Mikaël était saisi par ce qu'il venait d'apprendre.
Il se servit une boisson neuro-régénérante et rajouta un concentré de
sérum immunoprotecteur. Il en aurait bien besoin.
Ce qui taraudait le plus son esprit était le pourquoi.
Pourquoi détruire le beau ? Pourquoi générer de la puanteur, du bruit,
de la saleté ?
Pourquoi manger des produits frelatés, sans goût ?
Qu'est ce qui valait donc cette chandelle ?
Et pour le savoir Mikaël allait devoir rencontrer les
terriens, sonder leurs desseins, leur âme pour tenter de savoir ce qui
se cachait là-dessous.
Le jeu en valait-il la chandelle ? Mikaël devait analyser dans les détails
son atterrissage et les conditions de sa survie.
Assouvir sa curiosité était-ce une raison suffisante pour courir un
tel risque ?
Les archives cybernétiques parlaient sans arrêt d'argent, de guerre
et le logiciel sémantique les avaient placés en tête des résultats d'analyse.
Qu'était-ce donc que ce nouvel or ?
Apparaissaient aussi dans les résultats : pouvoir / finances /domination
/ corruption / matérialisme.
Mikaël se sentit aspiré brutalement vers le haut dans
un espèce de vertige transcendantal. Il ouvrit les yeux et sursauta.
Le réveil venait de sonner. Il était étendu dans son lit et sortait
d'un rêve, à moins que ça ne soit un cauchemar.
Rêve, illusion, vision d'un autre espace-temps, image
d'un possible, anticipation ou simple divagation.
LECTEURS, à vous de choisir !!
"Un
vrai rêve éveillé" de Janine NOWAK
Assise devant une table … une table quelconque qui durant
cinq heures fera office de bureau, je réfléchis. Pour ce faire, j'ai
adopté ma position favorite : menton dans la paume de la main gauche,
coude sur la surface plane.
Ma main droite repose sur la table. Je la regarde cette dextre, et j'aperçois
la multitude de veines, veinules et capillaires évoluant en un réseau
compliqué sous ma peau fine et claire. L'épiderme ! Cette enveloppe
embellit notre corps et lui offre le toucher, un des cinq sens sans
lesquels nous serions pires que des bêtes … ou semblables à l'écorché
des classes de sciences naturelles de notre jeunesse !
Ah ! Palper, ressentir, explorer le monde qui nous entoure, caresser.
Quoi de plus naturel, mais aussi de plus sensuel que ce geste ? Le toucher
permet des sensations fortes, agréables ou douloureuses. Il est générateur
de plaisirs et son potentiel érogène lui confère une place capitale
dans notre vie.
Insensiblement, mon pouce avance vers l'objet servant aujourd'hui de
contrainte d'écriture. Disciplinés, les quatre autres doigts suivent.
Ma main effleure doucement le rouleau de papier, puis l'emprisonne,
le soulève, le soupèse. Ah ! Si l'on avait la faculté de toucher ainsi
les mots !
L'autre main vient en renfort et décolle la flèche rouge qui maintient
le bord de la feuille. La feuille … Puis-je qualifier de " feuille "
ces mètres de papier enroulé comme … comme des écritures sacrées ? Comme
… comme un parchemin ?
Parchemin ? Le mot se met à frémir d'une mystérieuse et palpable existence.
Brusquement, je me sens aspirée. Dans ma tête, des souvenirs s'entrechoquent
avec la plus parfaite incohérence.
Parchemin …
Parchemin.
Papyrus.
Le Nil.
Le Nil, roulant ses lentes eaux rougies par le limon.
Inondations.
Canaux d'irrigation.
Les eaux salvatrices.
Le miracle de l'eau qui fait jaillir, dans sa transparente et bienfaisante
fraîcheur, les palmiers de l'oasis.
Oui, le miracle s'accomplit : le désert se métamorphose en une terre
féconde, riche et verdoyante.
Fête des yeux, joie sans mélange pour qui n'a toujours connu qu'un pays
abandonné, inhabitable, la contrée de la soif et de la faim.
Car il a fallu marcher.
Il a fallu subir la chaleur torride.
Il a fallu cheminer à travers les plus affreuses solitudes, zones arides,
sans eau, sans végétation.
Il a fallu traverser un désert de rocaille, inhospitalier pour l'homme
et les animaux.
Il a fallu progresser sur des plateaux de cailloux acérés, ou au milieu
d'une mer de sable aux vagues figées en courbes sensuelles.
Il a fallu veiller à ne jamais quitter l'interminable piste sous peine
de mort.
Il a fallu éviter les pièges des sables mouvants.
Il a fallu lutter contre la somnolence.
Il a fallu avancer sans penser, pour oublier que l'on marche, que l'on
marche, que l'on marche …
Et toujours, on se traine dans l'implacable fournaise.
La langue est enflée, les lèvres craquelées, la gorge à vif, les yeux
brûlés.
Etrange sensation que de mourir de soif. D'abord, les souffrances sont
terribles ; puis elles . s'apaisent. L'insensibilité vous gagne. Enfin,
on tombe sans une sorte de semi-coma.
Et pourtant, toujours on avance, comme un zombi, avec sur son visage
un indicible mélange de souffrance et de volonté.
Le sol, trop rude, ressemble à une cendre encore brasillante.
Le paysage est comme un os épuré de toute chair.
La lumière est sèche.
Le soleil est vibrant.
L'écrasante chaleur est si intense que l'air semble solide.
Les sommets des massifs sont d'un calcaire éblouissant, aveuglant.
Ici, le vent règne en maître. Et quand se lève la tempête de sable,
une nuée d'aiguilles assoiffe, aveugle, brouille les pistes, déplace
les dunes, refaçonne la géographie du lieu.
Et pourtant … pourtant, malgré les risques, malgré les souffrances,
qui ne souhaiterait, un jour, être confronté à ce monde étrange, mystérieux,
fascinant, ce monde d'un autre âge, berceau de l'humanité ?
Qui refuserait cette rencontre avec un silence qui force à se taire
?
Qui n'a jamais souhaité méditer face au plus grand désert du monde ?
Qui ne serait pas séduit à l'idée de faire un VRAI REVE EVEILLE dans
un univers minéral et pur, explosant de beauté sauvage ?
"Chouchou"
de Françoise MORILLON
A l'ouverture du monologue " PREMIER AMOUR " de Samuel Becket, le
metteur en scène nous montrait, un rectangle :
sic " le rectangle offre à cette nouvelle un cadre idéal renforçant
l'idée d'enfermement de la pensée dans un corps, de l'individu dans
un système, d'un personnage dans une histoire ".
En relisant les quelques lignes de ce très beau texte
et en vous les offrant en même temps, je suis tombée dans l'abîme de
ce rouleau sur lequel je vais coucher mes pensées.
Ce bout de papier roulé m'inspirera-t-il une longue histoire ? un conte
peut-être, en ce bel après-midi de décembre 2006 où l'atmosphère apparemment
calme et sereine semble me faire oublier les troubles et les fourmillement
du monde à l'approche des fêtes chrétiennes de Noël. Toute mon enfance
! Ah ! Noël, c'est magique.
Je ne le sais pas moi-même mais j'ai envie de laisser
glisser ma plume le long de ce rouleau de papier :
Hum : Je te vois, petit escargot blanc, arrête-toi
un instant, sinon je vais écrire des balivernes. Avance lentement car
je viens de buter sur ta coquille, et si ça continue joli gastéropode,
tu vas me faire les cornes.
Cagot : Ouh, Ouh, ne dépasse pas le dessus de ma coquille tu
pourrais te blesser, me dit-il ? Ne va pas au-delà de mon gros ventre
: celui-ci est gorgé de petites fleurs tendres : les pensées ou les
pétales des violas ajoutées de minuscules feuilles vertes que j'ai dégustées
avec délice, hum, hum, mmm !! . Je suis repu, attends que je digère
un peu pour reprendre ma route.
Hum : Mais à qui parle-t-il ?
Cagot : C'est à toi, Hum. Ah, tu veux que je joue un air d'accordéon
et tu m'accompagneras au violon ?
Hum : non, c'est toi qui dois me jouer une ode à la nature.
Cagot : Tu plaisantes, je ne peux pas, je n'ai que deux cornes
toutes molles, qui me servent d'ultrasons et de guide, ce ne sont pas
des cordes de violon. Et puis oui, je te jure, je me cache pour ne pas
me faire écraser par les Hums, et je suis très timide, tu sais ; mais
pourquoi m'écraserait-on ?, je n'ai rien volé, ce n'est pas parce que
tu ne vois plus mes cornes et mon corps de Cagot rampant. Eh !! Arrête-toi,
approche, caresse ma coquille et comme cela je vais t'écouter me raconter
cette belle histoire que tu as écrite pour moi, je crois ?
Hum : Arrête de bavarder, écoute-moi un peu.
Cagot : Joues, oui joues !! cela me fait du bien. Et cela me
distrait !
Hum : Ecoute bien et ne t'endors surtout pas
Cagot : Je sens que je somnole un peu sur la feuille de chou
sur laquelle je me suis posé pour t'écouter parler de la Nouvelle de
Becket, qui est ce Becket ? Eh, toi calmes-toi !! Je sais que je suis
une énigme pour toi. Ben oui, cette petite feuille de chou me sert de
couette et j'en ai une de rechange car je la grignote assez souvent,
je la croque, je me régale, miam miam !!, je l'adore ; sa couleur verte
et délicate enchante mes journées qui sont très longues, tu sais. Alors
joues, joues !!!
Toi, Hum, tu es aussi une énigme pour moi, avec tes yeux verts immenses
qui me regardent avec envie peut-être ? Et tes deux grands gros pieds,
tes hautes jambes…. ton grand corps m'angoissent un peu.
Tu sais Hum, je suis un très gentil petit animal gris, délicieux surtout
avec une sauce escargot bien relevée d'ail et de persil ; mais tu n'oseras
pas me manger, car je suis trop mignon, ma coquille presque translucide
est champagnisée, mes cornes ornent le dessus de ma tête de petite bête
fragile, je suis très et trop beau pour être mangé. Et surtout utile.
Je suis Ecologique, moi, encore plus Vert : je mange tout ce qui traîne,
je nettoie la terre proprement, pas besoin de lui mettre les produits
chimiques qui peuvent me tuer et tuer mes copains : fourmis, limaces
et autres petites bêtes utiles pour la nature. Tiens j'ai une idée,
je vais demander à une de mes antennes que je vais tremper dans la boue,
d'écrire un mot pour toi sur la feuille de chou.
Tu es très sympathique, tu m'inspires, je t'aime, Belle Damoiselle,
et toi m'aimes-tu ? autrement que dans ton assiette de porcelaine ?
Hum : Bien sûr que je t'apprécie, et je te goûte délicatement
autrement !!
Cagot : Oui, je sais que dans ta famille, on respecte plus que
tout les animaux et surtout les petits gastéropodes de mon genre, même
si je mange tes fleurs ! Ne me tues pas. Je t'aime trop.
Hum : Quelle idée, je ne veux pas te tuer, ni te manger ; cet
espace nous est commun, nous devons le respecter, nous respecter, nous
sommes tous les deux des errants. Maintenant, j'attends que tu m'écrives
un mot !!
Cagot : Bien oui, mais je veux avant te chuchoter cela : je me
repose sur ma feuille de chou, je rampe dans ton jardin, et toi tu te
promènes sur tes deux grands pieds où tu te tiens dressée comme un I.
La feuille de choux a toutes les qualités tu sais : c'est à la fois
mon lit et aussi je peux écrire dessus avec ma corne. Et toi, Hum, ne
me fais plus la morale, écris-moi plutôt, là sur la blanche nervure,
c'est mieux car si tu écris sur le vert de ma feuille, je ne pourrais
comprendre : c'est granuleux avec toutes ces jolies circonvolutions
et ma corne n'est pas assez forte pour faire des dessins. Alors écris
sur le blanc de cette feuille, mais que vois-je écrit ? c'est peut-être
AMOUR ?, mais je rêve, ta plume m'adorerai-t-elle ?. Je vais plier ma
petite corne pour tenter de te répondre, mais je ne sais pas écrire,
hop j'essaie, je la baisse, je la plie, et je la trempe dans la rosée
étincelante du crépuscule et je marque un petit signe que je veux être
: AMOUR, comme toi..
Hum : Si tu veux, comme bon te semble !
Alors, ce soir là, nous nous embrassâmes et nous nous
endormîmes sur ma feuille de chou qui nous avait offert ses nervures
blanches et vertes qui d'ailleurs ressemblent à des brindilles de bois
très sec. Mais il faisait si froid sur la pelouse humide. Au petit matin,
la feuille de chou avait disparu et Cagot n'était plus là. Peut-être
était-il sous la terre pour s'abriter des frimas de l'hiver commençant.
Hum était si triste, son aventure semblait se terminer.
Mais la morosité n'était pas si grande car Hum pensait au grand Serge
Gainsbourg qui, un jour, en se regardant dans la glace, se nomma " Tête
de Chou ". Bien sympathique, ce Gainsbourg. Quel chou ! Un chou c'est
un chou, mais mon petit chouchou avait disparu : il était si adorable,
mais certainement extrêmement fragile.
Hum: pensa " pourquoi dit-on : je vais lui rentrer
dans le chou, et pourtant " n'est-ce pas dans les choux que les hommes
naissent ". Et n'est-ce pas aussi avec les choux que nos ancêtres soignaient
leurs douleurs en appliquant une de leur feuille sur leurs genoux ou
autres parties de leur corps fatigués de souffrir !
Hum termina le conte et écrivit à Cagot : je voudrais tant te revoir
mon petit gastéropode d'un soir, mon petit choucagot.
De toute façon, Hum n'alla pas plus loin, et sa promenade
s'acheva.
CONCLUSION : " C'est comme au supermarché lorsque l'on
passe à la caisse en fin de journée, c'est très souvent la fin du rouleau….
et on est " au bout du rouleau "….. Il regagna sa chaumière, y
mangea la bonne soupe au chou en compagnie de sa choutte chérie et de
tous ses petits choux réunis autour de la grande cheminée, en espérant
quand même revoir le lendemain ressurgir le Cagot des profondeurs de
la terre.
"La
tablette, le petit vase et le pinceau" d'Angeline LAUNAY
Je te salue, toi qui t'es endormi pour te réveiller dans
l'univers surnaturel de la résurrection. Avant que tu ne franchisses
les douze portes, j'ai composé pour toi ces incantations afin de te
préparer à la vie, à la force et à l'intelligence qui vont animer cette
parcelle de ta nouvelle existence. Les " mots-ouvreurs " heurteront
ton front, ta bouche, ta poitrine… Laisse-les investir ce sanctuaire
inconnu de toi… Permets à la musique céleste de pénétrer tes oreilles
humaines.
Le temps n'est pas le temps. La terre n'est plus la terre.
Tes sentiments resteront suspendus dans l'espace transparent. Quoique
tu penses et quoi que tu dises, il en sera ainsi à jamais. Ne crains
ni toi-même, ni la mangeuse d'âme à tête de crocodile.
Dans les moments d'interrogation, ce texte trace un chemin inhabituel
qui te conduira où tu dois aller. J'ai vu bien des défunts ordinaires
qui ne savaient que faire de l'éternité qui les attendait… Or, pour
les mots qu'il reste encore à écrire, le rouleau se déroule sans cesse…
la surface est toujours vide, toujours blanche, toujours avide…
Si tu me fais confiance, pour toi, la table sera abondamment
pourvue de petits pains rituels, de viandes grillées et de bières douces.
Tu ne manqueras ni de vêtements, ni de sandales souples, ni d'onguents
parfumés.
Le sphinx à la face rouge, gardien des seuils interdits, te sera favorable,
et tu contempleras la magnificence de tous les dieux inventés. Que te
dicte ton instinct ? Que t'inspire ta conscience?...
Ici, s'arrête l'espoir, devenu inutile. Ici, le nomade atteint la paix
du bivouac. Tu participeras à la tache commune. Tu accèderas à la compassion
prônée par les prêcheurs de Sagesse.
Voici que tu te prépares à la pesée de ton cœur. Si les
plateaux de la balance s'équilibrent, alors c'est que ton regard devient
juste ; c'est que ta transformation s'accomplit.
L'encre rouge au bout de mon pinceau aura dessiné autant de signes que
nécessaire… l'encre noire également. Beaucoup de caractères te paraîtront
incompréhensibles… Le sens t'en sera révélé bientôt par le scribe des
dieux, le divin Thot dont la tête d'Ibis, tantôt noire, tantôt blanche,
nous inspire la crainte car cette divinité nous entraîne, qui que nous
soyons, dans son insondable mystère.
Tablette de bois, tu portes deux trous pour y placer des
pains de couleurs rouge et noire ainsi que des rainures qui permettent
de poser les roseaux et les pinceaux. Petit vase, tu contiens l'eau
pour y délayer les couleurs. Sans la tablette et sans le petit vase,
je n'aurais rien à écrire, rien à prophétiser… Sans le pinceau qui s'anime
au gré des réflexions, je n'existerais pas.
Car je suis le passeur de signes, celui qui inlassablement effectue
ce travail de l'esprit à la main et qui couche sur le papyrus les formules
secrètes qui facilitent la traversée de la Douat, la rivière qui sépare
les deux mondes.
Maintenant, ouvre tes yeux. Respire. Avale ta dernière
salive. Libère ton cœur. Oublie ce que fut ta condition. Recherche dans
tes souvenirs un chant pour les dieux. Répète trois fois la formule
prophylactique que je te souffle à l'oreille. Pleure toutes les larmes
qui te restent. Défais tes derniers nœuds. Ne retiens rien. Dis-toi
que ce que tu quittes ne sera pas perdu. Aide-toi. Fais-toi aider… Ils
sont autour de toi les Babouins qui t'assisteront.
C'est le moment d'affronter Horus, suivi par ses quatre fils. Devant
toi, s'étendent des champs très vastes… Il ne faut pas que tu te sentes
égaré. Ne refuse pas le paysage… Habite-le.
Qu'importe mon nom ! Le tien n'a plus d'importance. J'écrirai
à ton intention d'apaisantes incantations… Elles te permettront de franchir
les distances et d'accomplir tous tes voyages vers le Jour.
Ainsi pourras-tu goûter aux offrandes terrestres… Elles ne te manqueront
pas car assidus sont ceux qui garnissent les tables d'éternité. Tu entreras
lumineux et rassasié dans le Royaume dont chacun parle sans savoir à
quoi il ressemble, et nous ferons connaissance… Je ne sais presque rien
de toi, si ce n'est que tu n'es pas un enfant - ici, la distinction
homme-femme n'a pas lieu d'être.
Bienvenue à toi ! Te voilà maintenant dépossédé de ton fardeau et investi
d'une mission dont tu n'as pas idée…
"Pense-bête
(ou histoire d'une vieille dame amnésique)" et
autres poèmes de Karine
LEROY, conteuse invitée
Pense-Bête (ou histoire d'une vieille
dame amnésique)
- Demain, quand je me lèverai, on sera lundi
- Ne pas oublier de me lever
- Quand je me lèverai, je serai toujours moi-même, c'est-à-dire : madame
Yvette Petipain, cinquante-seize ans ( enfin à peu près… )
- Ma maison sera toujours au même endroit, c'est à dire : dans la petite
rue perpendiculaire à la grande avenue qui mène au hypersupermarché
" Géant Eléphant "
- Mes chaussons en feutrine bleue marine seront posés au pied de mon
lit, il y en a deux pour mes deux pieds et mes dix orteils, c'est pratique
!
- Quand le facteur sonnera, lui ouvrir : il me donnera mes lettres et
me serrera la taille, c'est normal, c'est mon amant.
- Penser à lui dire : " Grand fou, tu es toujours aussi matinal ! ",
il adore ça !
- Ensuite il partira et je serai seule, c'est la vie !
- Acheter un rayon de soleil pour éclairer mon jardin
- Enlever les mauvaises herbes de mon cerveau
- Tondre la moquette de ma chambre ( qu'est-ce qu'elle pousse vite ces
temps-ci !)
- Penser à retrouver ce papier qui sera dans l'étagère du haut du buffet
du salon sous le petit sucrier en cire que m'avait offert Robert mon
troisième mari parti un matin alors qu'il était allé ramener à la consigne
de l'hypersupermarché Géant Eléphant les capsules des bouteilles de
lait
- Penser à décoller les anciens pense-bête de la porte du placard de
la cuisine
- Ecrire à ma tante Albertine pour lui rappeler que mon anniversaire
était il y a semaine
- Changer l'eau du chat , la cire des abeilles, les oreilles des lapins,
les miettes des pigeons
- Demain il fera jour et puis le soleil finira par se coucher tout au
fond du jardin derrière le fil où mes bas seront entrain de sécher
- Penser à étendre mes bas….
- Demain, ça sera demain même si j'oublie…
Petits poèmes du poisson-poème-messager
Mon visage
Doux rivage de ton rire
Vague et sonore
La douce brise de ton âme
Effleure l'océan de mon cœur
Je nage en eaux troubles
Vagues à l'âme
Bleu
J'ai soif
Le message de la sirène
La lune est pleine, le vent se lève
Je suis derrière la troisième dune
En arrivant de la plage
Lointain naufrage…
Un matin de bonne heure
J'ai plongé dans l'eau bleue
Et puis j'ai oublié mon nom et le temps qui passe
Le sable s'est mêlé à mes cheveux
Et les algues ont fait mon nid
Le sel de la mer coule dans mes larmes
Et je chante dans le vent pour qui sait m'entendre
Toi qui sait ton nom et le temps qui passe
Toi qui lit ce message plein d'écume
N'oublie pas que je suis là debout devant l'océan
Derrière la troisième dune
Et que je t'attends…
"Mini-dictionnaire
des choses de la vie qui nous hantent, nous enchantent et décantent
nos idées" d'ARGOPHILHEIN
AIMER, c'est draper l'autre en idole pour que son
apparence nous renvoie une image divinisée, celle qui nous valorise.
C'est aussi parfois avoir une si haute opinion de soi-même qu'on ne
peut imaginer entamer, réduire l'image-miroir qu'il nous renvoie béatement
(et bien complaisamment) sans se perdre soi-même. En somme, aimer l'autre,
c'est le voir avec de la valeur ajoutée. C'est enfin se plonger dans
la souffrance, avec délice, pour sentir la vie vibrer en soi, c 'est
se donner pour se reprendre quand l'amour est passé. Et il passe toujours,
même si les poètes le vouent à l'éternité. Que ferait un amour sans
corps, sans coeur, sans raison ?
l'AMANT aime et est aimé ou vice-versa ? Et le
vice versa sa jouissance suprême dans les corps emmêlés...
AMOUR de tout ce qui vit, du rien qui nous lie,
du vide qui nous ennuie, où passes-tu tes nuits ?
BEATITUDE : Par le cri du mouton commence le Bêé...
auquel s'adjoint le Ha! ... interjection qui réduit, voire coupe le
souffle. Le béat, comme l'innocent quadrupède ruminant si heureux d'être
tondu les mois d'été, est content de lui. Ca baigne, pense-t-il. Et
en pensant, il parvient à la béatitude, qui est l'attitude béate obtenue
par la pensée théologique. Amen !
BORNES : limites. Ne sont pas bornés : Dionysos
et la luxure, les athées, les libres -penseurs, les autonomes, les indépendants,
les alcooliques et les petites soeurs des pauvres : plus il y a de pauvres,
plus ils ont de soeurs. Sont un peu bornés : les maladies sexuellement
transmissibles, les militants des partis politiques, le fidèle qui manifeste
son attachement à un seul objet. Sont complètement bornés : les
militaires dont l'oeuvre unique est la guerre, les religions et en particulier
la culture judéo-chrétienne qui tient pour coupable tout être qui vit
: ne sommes-nous pas tous issus du péché originel ? Les deux, pour maintenir
leur ordre, n'hésitent pas à sacrifier l'humain même au-delà des frontières,
sur l'autel du salut. Enfin ,les plus systématiques, ce sont les géographes
qui ont pour mission de tout borner. Et ils parcellisent la terre comme
les medias parcellisent la culture : en très petites parties vendables
sur le marché.
COMPASSION : avec passion. J'aurais aimé, avec
passion : l'amour, la joie, la vie, la maternité, l'art, que sais-je
encore ? Et bien non, il s'agit de pitié. La compassion, c'est s'associer
à la souffrance de l'autre par un sentiment de pitié. Et cette pitié,
d'où vient-elle ? De la PIÉTÉ, de la foi, mot qui voit son origine en
1080. Mais si tu l'as pas ? Comment peux-tu éprouver de la pitié ? Tant
mieux, tu n'auras pas à croire que tu es plus pur, toi qui as la foi,
que l'impur, l'infidèle. Tu n'auras pas à penser que tu as ta pitié
à lui servir en guise de baume sur ses douleurs, tu n'auras pas à éprouver
la force de ton unique vérité, ta béatitude face à son désarroi. Tu
n'auras qu'à l'AIMER un peu pour avoir envie de l'aider. Car aimer l'autre,
tu l'as lu, c'est aussi et avant tout s'aimer soi-même. Aussi, tu n'auras
aucun mal à lui apporter le réconfort de ta chaude présence pour le
soulager de ses douleurs. Ainsi, sans pitié, sans compassion, mais avec
un peu d'amour, tu changeras le monde. Conclusion : garde-toi
d'oublier l'amour au profit de la compassion, ce serait comme un printemps
sans bourgeons, un été sans soleil. Rien ne naîtrait, rien ne croîtrait
et la passion de ta foi détruirait bien des vies à travers la compassion.
Si tu veux aimer, adorer ton Dieu, fais-le en silence, ne nous donne
pas le spectacle de ta foi criarde et bavarde. Ne convoque pas la télé
quand tu donnes pour la myopathie, les africains et le sida. Le don
de soi sans paroles, c'est actif et ça coûte pas cher. Pas plus cher
que ce rouleau de papier qui compte les mots que ces choses de la vie
me font penser. Voyage et tu verras. Parle avec eux et tu comprendras.
Comprendre, c'est prendre avec , mais sans passion, comme ça, pour rien,
pour tout, pour la vie qui coule, explose en nous.