SAMEDI 11 Décembre 2021
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge"

Animation : Régis MOULU

Thème : Manier des idées fortes comme des symboles

Le symbole a cette vertu qui est celle d'exprimer en toute simplicité une force qui interpelle et qui marque. Véritable porte qui facilite le passage du sens, il s'escrime à porter son dévolu sur des images condensées, ou bien des mots fédérateurs, ou même tout un bric-à-brac emprunté aux mythes et qui fait le bonheur de la poésie. Aussi, nous avons usé et abusé de cette richesse au cours de notre séance troublante comme une allégorie.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : (au choix) :
1. Imaginer qu'un habit (avec son âme propre) prenne vie pour la semaine, que dirait-il, quoi penserait-il, que ferait-il ?...
2. Le/la meilleur/e ami/e du protagoniste principal est en pleine déroute : ce dernier se lance dans l'entreprise de lui remonter le moral…


Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support présentant notamment ce sur quoi peuvent porter les symboles a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Doc Martens et Cendrillon" de Juliette LAETHEM

- "Qui suis-je ?" de Blandine DELGADO

- "Salopette" de Nadine CHEVALLIER

- "Tu es ce violon qui habite encore son tronc d'arbre" de Régis MOULU

 

 

"Doc Martens et Cendrillon" de Juliette LAETHEM


Aujourd’hui, c’est jour de pluie : peut-être mon jour de gloire. J’attends sagement dans le placard, bien droit et parallèle, à l’abri de la lumière. Ah ! Ce que l’obscurité est triste, froide, morose… A l’abri des regards on sentirait presque son âme s’évanouir.
Je l’entends qui descend les escaliers ; je reconnaitrais son pas entre mille : elle est la seule, l’unique, celle qui m’a choisi dans cette boutique il y a dix ans alors qu’elle n’était qu’une adolescente à peine pubère et moi une paire sans personnalité, neuve et étroite, le cuire encore rigide comme un soldat prêt à marcher au rythme qu’on lui imposerait, l’odeur encore stérile de toute attache affective, de toute trace émotionnelle. Ma Cendrillon… Tu m’as façonnée. 
Une lumière ! J’entrevois enfin la lumière ! De sa poigne décidée elle m’attrape ; je sens mon cuir frissonner, mes lacets frétiller : son toucher me rappelle instantanément le plaisir éprouvé lorsqu’elle s’applique à cirer mes pointes violettes élimées par le temps, la force de l’âge et les épreuves de la vie pour deux…
Les caresses de sa paume n’étaient que les préliminaires : la voilà maintenant qui défait mon laçage lentement, soigneusement, d’une minutie qui m’inspire la grâce et dont je ne me lasserai jamais… En un soupir, je me détends et me relâche, prêt à accueillir ses pieds merveilleux qu’elle plonge enfin en moi avec force et délicatesse. Je sens leur chaleur m’irriguer, me doter d’une énergie revigorante qui se diffuse en un éclair jusque dans les fissures de ma peau craquelée. Alors, à mon tour, je m’empresse de l’enlacer, d’enserrer ses fines chevilles, trop fines pour supporter le poids de l’existence, afin de lui donner en retour une force nouvelle, un complément d’assurance et un supplément d’âme. Doc Martens et Cendrillon : moulé l’un pour l’autre, nous faisons la paire.
Quelle fierté, quand elle m’arbore ! Quand elle accorde ma forme et ma couleur à un ensemble bien choisi pour, comme elle le dit si bien, « me faire ressortir » ou « me mettre en valeur ». Ma couleur violette n’est plus symbole de modestie mais d’arrogance.
Pour elle, j’irai plus loin que ce que la terre puisse porter ; je tracerai des chemins, je me ferai Bottes de Sept Lieues, Sandales Ailées ; je la porterai plus loin que ce que ses rêves pourront inventer.
Ça y est, nous sortons ; la pluie est battante. Je sens ses orteils se rétracter et se blottir, comme redoutant la morsure de la pluie. Ma Cendrillon n’aie crainte, ne tremble plus : là commence ma mission. Je m’élance, entre les gouttes qui assaillent mon cuir ; plonge dans les flaques d’eau et de boue, je tiens debout, imperméable, battu par les flots mais sans jamais sombrer… Gardant ma princesse au sec et jubilante alors de danser dans la tempête. Je sens ses orteils se détendre : ils profitent de la croisière.
Au rythme de ses pas, j’ausculte son cœur ; et en bon Docteur, je pose mon diagnostic : déterminée, hésitante, fatiguée, grelottante, enjouée, fainéante, préoccupée, chantante… Je devine alors de quel pied elle s’est levé ; et en bon psychologue, je réchauffe son cœur ; je supporte ses douleurs, je contiens ses chagrins ; je soutiens son destin, je guide sa candeur.
Fin de journée ; la voilà saine et sauve, ramenée à bon port dans sa maisonnée. Me voilà gonflé de fierté, comblé du délicieux nectar de sa transpiration à l’odeur enivrante. La voilà déchaussée : pour elle, cela est synonyme de délivrance, de légèreté retrouvée ; pour moi, cela signe le retour au placard, à l’obscurité, à la peur toujours renouvelée de se voir un jour remplacé par un rival plus neuf, plus branché, plus grand, plus beau, moins cabossé, effiloché, décoloré. Mais je reste confiant, car j’ai le cuir solide ; depuis dix ans, j’ai marché dans ses pas, accompagné ses matins, porté ses émois, suivi ses chemins. Le lien qui nous unit dépasse le simple morceau de cuir monté sur une semelle protégeant des flaques d’eau.
Elle ferme le placard ; RIDEAU.
En attendant le prochain jour de pluie,
De prendre à nouveau ton pied je me languis.

 

"Qui suis-je ?" de Blandine DELGADO (sujet 1)


Longtemps je suis passé inaperçu, anonyme. Il en aura fallu des millénaires pour enfin dévoiler mon vrai visage.

Des civilisations les plus anciennes aux temps les plus modernes, j’ai fait le tour du monde. J’ai laissé jaillir, au gré de mes pérégrinations tant d’émotions de mascarade, qu’on m’a usé jusqu’à la corde. Dans ce grand carnaval, j'ai tout donné !

J’ai pris toutes les formes, des plus simples aux plus complexes et longtemps, je suis resté de bois, aux mains d’experts de cultures qui cherchaient à sculpter l’écorce pour sonder l'âme, parfois heureusement, parfois jusqu’à l’effondrement.

Certains m'ont avili dans des bouffonneries grotesques, d’autres m’ont anobli sur des scènes homériques et j’ai souvent caché de noirs désirs derrière de sages dentelles.
 
Longtemps, la laideur m’a caressé, maquillant son angoisse d’un far sublime, se transcendant dans de naïves coquetteries ; alors que la beauté, elle, cherchait à m’éloigner, mais dissimulait mal une humilité à peine voilée.

La jeunesse, pour sa part, m’a relégué. Arrogante et cruelle ! Mais je l’ai rattrapée au fil des années et c’est au crépuscule des jours qu’elle m’a tant adoré.

Quant à la haine, elle a fait de moi un fantôme éthéré, icône pointue, remisant derrière sa blancheur immaculée, la noirceur la plus crue que l’âme ait pu porter.

Mais assez de m’exploiter, m’humilier, me cacher ! Le monde change, c’est viral, et je veux prendre ma place. Pas celle d’un prophète, d’un totem puissant, pas celle du rideau rouge dévoilant le vernis qui se joue sur la scène des vivants, pas celle du grand cacheur de l’âme humaine… non je veux devenir moi-même, utile et minimal, que l’on me voie dans ma vérité nue, mon plus simple appareil, qu’on ne puisse plus jamais m’ignorer, que j’existe, que l’on m’exhibe, en blanc, en noir ou coloré… en tissu ou en papier.

Démasqué ?


"Salopette" de Nadine CHEVALLIER (sujet 1), texte écrit hors séance dans les mêmes conditions


Me voilà au fond de cette malle, perdu au milieu d’un tas de chiffon. Non... Je ne dois pas dénigrer … Ne suis-je pas fait moi-même de bouts de tissus assemblés ?
Perdu au milieu… de ces vêtements de toutes formes et couleurs, mélangés, en vrac ?

Celui-ci terne et de coupe stricte. Noire veste aux manches longues assez larges aux revers élimés, ses boutons de métal aux reflets éteints lui donnent un semblant de panache mais elle reste austère, morne et sans grâce. Des traces de sang noirci semblent encore la maculer.
Cet autre, longue robe toute de rouge satiné, avec un large surplis blanc immaculé, éternité de prière et de vertu sans doute ?
Ce bicorne de feutre noir à cocarde bleu blanc rouge froissée, colère et passion mêlées.
Ce corset blanc aux baleines rigides et lacets entrecroisés, quelles rigueur et droiture cherche-t-il à contenir ?
Et celui-ci ! Long suaire d’un blanc sale avec deux trous ouverts sur le néant… Brrr…

Je m’extirpe de ce coffre tant bien que mal. Je suis tout d’une pièce. Mes manches courtes ne peuvent me hisser par dessus le bord capitonné de cuir épais. Mais mes longues jambes, larges et bouffantes passent en premier et le reste suit. Je saute sur le sol de cette vaste salle claire.

Un miroir en couvre tout le mur.
Et je me vois.
Pour la première fois, je me vois tel que je suis.
Première impression, je me trouve beau.
Puis je me regarde.
Je suis grand, large, coloré.
Toutes les deux bouffantes, resserrées en bas par un élastique lâche, ma jambe droite rouge et blanche est plus courte que ma jambe gauche, rouge et jaune.
Quelles joyeuses couleurs ! Elles me transmettent énergie et chaleur, je danse et tourne dans la salle en m’observant. Le miroir me renvoie l’image d’un pantin désarticulé sautillant maladroitement sur ses jambes inégales. J’ai honte soudain de ma joie stupide.
Je stoppe ma valse et me rapproche du mur en boitant.

Je me détaille un peu plus.
Des couleurs sur mes jambes, oui, mais aussi des formes, blanches sur rouge, rouges sur jaune, des cercles comme des yeux. Des yeux que je vois et qui me regardent. Et je scrute dans ce miroir ces yeux qui me renvoient leur/mon regard.
Pour ne pas m’y perdre, je me penche et prends conscience du haut de moi. Mes jambes se réunissent en un fond de pantalon taillé pour de grosses fesses ! Après une ceinture élastique fermée par un énorme bouton jaune, je me prolonge par une chemisette écossaise à rayures verticales jaunes et vertes. Quel festival de couleurs !
Je m’admire et de nouveau me mets à danser autour de la salle.

Peu importe que je clopine, peu importe le manque d’harmonie, la dissymétrie, je danse.
La honte, la jalousie, le jugement ne sont pas pour moi car j’existe pour le bonheur, pour l’amour et pour la joie.
Je le sais de toute éternité.
Non, ce n’est pas de la vantardise ou de l’orgueil, c’est juste la nue vérité contre laquelle on ne peut rien.

Mais voila que le miroir s’éteint dans l’obscurité du soir qui tombe, la lune apparaît à la fenêtre, une chouette hulule doucement. La magie se dissipe.
Je ne suis plus que morceaux de tissus cousus tombé en tas sur le sol frais, ma conscience expire.

Sept matins, je me suis éveillé.
Sept journées, j’ai dansé.
Sept nuits sans conscience sont passées.

Et au matin du huitième jour, je suis devenu la salopette du clown relationnel Oscar à la maison de retraite VAM* de Saint Kléber des Étangs*.



"Tu es ce violon qui habite encore son tronc d'arbre" de Régis MOULU (sujet 2), animateur de l'atelier


Oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai en pensée,

prends ce soleil,
ce denier inestimable,
ce rond que tu mettras
dans la tirelire de tes rires,
cochon que tu casseras
dès ta première larme,

va faire frire et revenir ton bonheur
dans cette litière de paille
et, en nouveau Jésus,
les Rois Mages d'un regard rafraîchissant t'allaiteront
de leurs cadeaux,

une fois le flot de leur attention palpé, déplié, respiré,
tu ouvriras la boîte de leurs cœurs
et y trouveras une pulsation,
uses-en comme d'un cheval,
et voilà que tu courras à nouveau les immensités,

oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai en présents,

je te souhaite l'immensité,
cette horloge cassée
où quand, pour toute chose, il n'y a plus de rebords,
juste un vertige,
un état béni,
la route était une plaine
et la plaine un voyage sans destination,
les pâtures de la multitude t'ont alors comme suspendu,

à chaque pas tu éprouves un nouvel ascenseur,
ces sensations usent de toutes les couleurs connues
et même de bien d'autres,
la fête foraine est ta nouvelle patrie,

il y a de la troïka qui irrigue tes veines,
c'est génétiquement vrai,
tu le sais, tu joues à dire que c'est faux,
tu luttes pour que ça soit partiel, mais tu le sais,
ton corps a déjà changé,
les miroirs te font la gueule,
tu es heureux parce qu'en tout, tu te sens pionnier,

oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai en images impérissables,

cette chair que tu portes aujourd'hui comme des haillons,
comme une misère
est en vérité un fruit
au sucre odorant,
un nectar que la lumière fait rutiler
comme des vagues de diamants
que la lune offrirait à la mer,

et les sentiers que tu empruntes
s'en trouvent charmés, honorés, transformés, embellis,
tu es un aventurier attendu, espéré, idéalisé,

il paraît que les seringats chantent après ton passage,
ce sont les lauriers roses qui me l'ont dit,
en fait, tu es une muse,
d'autant plus muse qu'elle s'ignore,
tu as la beauté de l'innocence qui est toujours au travail,

oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai en feux d'artifice,

tu es inspirante comme fontaine qui caracole,
de la statue que tes qualités forment, on n'en voit
que les mouvements que tu pourrais initier,
tu es la somme des possibilités qui te font roi,

tu es notre désir avant qu'il ne nous prenne,
tu précèdes l'imagination,
tu es ce violon qui habite encore dans son tronc d'arbre,

tu es un rêve fait « pomme rouge »,
les héros t'ont fréquenté à un point tel
que tu t'es retrouvé hors des mythes
comme une idée formidable
ne reste pas dans son film,
elle vit, elle vagabonde, elle déborde tout,

je crois que tu es plus que toi-même,
de même que l'espoir est toujours vêtu de son habit de gala,

oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai, prêts à l'emploi,

tu es ce café éternel,
ce marc qui « prend visage »
sous un rire de cascade,

tu es ce rendez-vous fidèle
qui est toujours d'actualité,
et quand le journal de ta silhouette
donne de ses nouvelles,
une armée de fantômes sympathiques
grossit ta chorégraphie,

ton envergure est porteuse et inspirante,
tu nous agrandis
comme l'épice dont le pointu nous redimensionne,

tu es cette chambre à air faite d'oiseaux,
tu es un assemblage, a minima de trois couleurs, qui vole,
aucune frontière, aucun frein,
et si la fatigue existe, ce ne sera que le corps qui s'en chargera,
et encore ! avec un verre de vin,
il n'en restera rien !

oui, pour toi, je soulèverai tous les symboles
et te les offrirai comme si mes paroles étaient tes anges gardiens,

on se regarde,
avec une intensité qui dresse entre nous deux rampes,
j'y vois un pont sans plancher,

tu avances
en coupant l'air comme s'il n'était que « feuilles blanches »,

dix ramettes plus loin,
je te considère « girafe »,

l'oxygène gonfle ton nez,
c'est le « cœur du haut »
qui reprend son office,

ton derme s'ambre d'un rose saumon
luminescent,

à la place de tes mains,
des têtes de brebis exercent leur charme,

évidemment, tes jambes autrefois ciseaux,
ont la patine du bois d'olivier,
je les ai d'ailleurs prises pour des couverts à salade
qui foulent désormais
la prairie d'un lendemain
étoilé de boutons de roses,

oui, pour toi, j'ai soulevé tous les symboles
et te les ai offerts comme pour te faire comprendre
que je ne suis déjà plus là.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture