SAMEDI 13 janvier 2007
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle " L'espérance des expériences "

Animation : Régis MOULU.

Auteur invité : Patrice CAZELLES, poète

Thème :
La tache d'encre
(petit happening)


L'animateur entre, ouvre une bouteille d'encre,
la jette sur une feuille au milieu de tous…
et chacun y verra ce qu'il voudra !

Car investir le présent en réaction à une situation
soudaine et partagée par tous forcera notre capacité
à avoir des élans, à saisir et à fonctionner avec
l'instinctif.
La tache a donc pris la forme d'une histoire,
celle de notre imagination.

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun,
un support a été remis en début de séance (entretien de Gilles Deleuze,
citations de Kandinsky, texte d'Eugenio Barba...)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance...


Processus de composition de notre oeuvre :
Chaque tache a été réalisée de la façon suivante par chacun des 15 participants, tous les 5 minutes :
chacun des participants tire au hasard un produit à jeter (une vingtaine possible).
On lui bande les yeux et le guide là où il veut, autour de la toile.
Il balance sa matière (plusieurs jets possibles).

Utilisez votre barre de défilement horizontal qui se situe en bas de votre écran (ascenseur) pour dérouler les photos restantes, à droite !!!

Titre du texte

&

Nom de son auteur

Etape 1 Etape 2 Etape 3 Etape 4 Etape 5 Etape 6 Etape 7 Etape 8 Etape 9 Etape 10 Etape 11 Etape 12 Etape 13 Etape 14 Etape 15
Jet de Yaourt Danone Actimel
Jet d'Encre Yellow
Jet de Sirop de rose Rooh Afza
Jet de Vernis Rouge Baiser
Jet de Moutarde Reflets de France
Jet de Sirop de Pêche
Jet d'ectoplasme
Jet d'Encre Chamois
Jet de Tomato ketchup Carrefour, allégé en sucre
Jet d'Encre noire Waterman
Jet d'Hextril bain de bouche, menthe
Jet de dentifrice
Jet d'Encre Grass Green
Jet de Lave-vitre
Jet de Bain Mouss' pomme verte, Carrefour

Toile cheminante

de

Séverine CHAISE

Emprise d'un tourbillon, tu sèmes et virevoltes. Vire, passe, l'emprise trépasse, toujours rebondit, survole pour tenir. Et puis la gène te vient, tu confonds. Tire ou signe à ta guise, mais choisit tes mots, tu n'y joueras qu'une fois et le crime stoppera tes attaques, alors, choisis bien tes mots. Intense et perfide, tu prends, tu prolonges, tu goûtes. Avant de t'envoler, tu piques et grouilles par mille. Triomphe et fait toi grand. Mais laisse la place en puissance, l'impression dominer. Ton fantôme hantera tous ceux là qui n'ont pas cru en ton nom ancré ici, et la joie restera la seule énigme de ton plan verdoyant, coupé trop tôt. Paf, paf. Tu ne t'attendais pas à ça, vieux grenier rabougri éprit d'histoire et celle là ne t'encombrera pas davantage ! Mais voilà… Sur ton chemin… Elle reste, colle, s'agglutine, tu la méprise, mais là… C'est là. Lui échapper ? Elle est sur tes talons, garde tes planches au plus près… Oh, vise au loin, prend tes échasses… Bien… L'une tient, 2 tu t'y perds et voilà quelle s'exprime, quelle s'agite… Et part, te laissant amer finalement, au bout des mots, au bout des lèvres, au bout quoi… Comme quoi… Rien n'est à l'heure. C'est frontal. Le corps se tord et tu t'éparpilles en sens, tout s'ajoute. Ne te maquille pas, garde ces traits. Asseoir 1000 paysages et brandir les flammes dont tu t'imprègnes, silencieux. Partager aux faces sombres leur éclair, découper, prendre, refaire, ici, là, là, là où… Là. Et faire appel, d'un cri uni-phonique, ravageur. La ligne est impossible, le changement de situation impensable. Apparemment impensable. Ca paraissait si clair, l'arrivée devait être prévue… Et ça n'en fini pas. Oui c'est ça, clair ça l'est mais ça n'en fini pas.
 
Jet de Yaourt Danone Actimel
Jet d'Encre Yellow
Jet de Sirop de rose Rooh Afza
Jet de Vernis Rouge Baiser
Jet de Moutarde Reflets de France
Jet de Sirop de Pêche
Jet d'ectoplasme
Jet d'Encre Chamois
Jet de Tomato ketchup Carrefour, allégé en sucre
Jet d'Encre noire Waterman
Jet d'Hextril bain de bouche, menthe
Jet de dentifrice
Jet d'Encre Grass Green
Jet de Lave-vitre
Jet de Bain Mouss' pomme verte, Carrefour

Guerrier

de

Sylvie PRUDON

Etendue vierge, lisse, calme. Repos du guerrier.

Plic, plic, ploc, splotch, tac, tac, plic, ploc, splatch… L'image du miroir se trouble et une odeur de vase remonte aux narines étourdies du guerrier. Fin de la contemplation de lui-même.
Colère rayonnante… Echauffe l'esprit du guerrier. Envie de se battre… Se battre. Montrer son courage, sa valeur… Vaincre, écraser, tuer sans hésitation. Mais il est seul… Le voilà confronté à lui-même, face à son insupportable image floue. Ne reste qu'une solution : porter un coup violent au cœur du reflet. Le sang gicle. Le guerrier veut combattre jusqu'au bout. Il cherche les ennemis dans tous les coins et les recoins. En vain, il court de droite et de gauche, revient sur ses pas, tourne et retourne, se roule par terre, s'enroule et se déroule, enlace le vide. Impossible de retrouver le fil de la bobine. Ivre d'angoisse, il perd un peu plus de lui-même à chaque instant. Ne pas perdre son piquant… Agir, réagir, garder la tête froide, la tête haute. Se concentrer, ne plus s'étaler, faire bloc. Ne pas se perdre dans ses pensées, fixer des objectifs puis par tous les moyens les atteindre. Travailler dur, tuer, travailler, tuer, abattre sa besogne. Se poser simplement, et laisser couler le temps sucré ? Seulement pour les autres, les faibles, les lâches. Lui a sa mission à remplir, travailler, travailler… Ne gâcher aucun instant. Car piégée dans le regard, la vie s'écoule, se mélange aux reflux des égouts avant de sécher au soleil de minuit. Le temps se resserre et devient gluant. Entrer ou rester pétrifié devant les murs de l'absolu ? Tout à coup, plus rien… De la netteté bon dieu !!! Des traits précis ! Un cœur sans peur ! Une âme pure ! Un être engagé ! Ne laisser aucun espace aux doutes qui risqueraient d'entacher mon être profond et discréditer mon travail ! Geste large, ample, libérateur… Ouvrir, ouvrir tout mon être au labeur Gonflé par ses certitudes, le visage guerrier redevient uniforme. Tuer le non-conforme. Tel est le programme du héros de la nation du "bien faire". Décoré, il sera. Pour sûr !!! Qui sait, les palmes de la natation… Plan d'action :
1. Goudronnage des chemins de traverse
2. Promulgation immédiate d'un arrêté d'expulsion de toute personne à l'identité floue
3. Destruction des fioritures, interdiction de la broderie… Ne conserver que l'essentiel.
4. Promotion de l'ordre tant public que privé
5. Engagements de 507 camions d'agents rouges de rabotage
6. Désinfection totale des égouts, échange standard des égoutiers
7. Aller à l'essentiel, décrassage général jusqu'à l'os
8. Signalisation renforcée des champs de maïs
9. Aller à l'essentiel
10. Toujours respecter les feux
11. Aller à l'essentiel
12. Juguler les rêveries intempestives
13. Etre productif, aller à l'essentiel
14. Ignorer, éradiquer, oublier, rayer, exterminer tout élément potentiellement perturbateur.
15. Tuer, aller à l'essentiel
Le cauchemar refait surface. Tout se mélange à nouveau : couleurs, formes, idées, actes, passé, présent futur, dessus, dessous, dedans, à côté, complètement à côté. Perte totale de repères et perché au dessus du vide, le mal au cœur s'installe. Retrouver le confort des tâches quotidiennes. Se laver, Simplement purifier son corps de toutes ces questions-suppositions. S'habiller, ranger, dépoussiérer, manger équilibré et modérément. Puis travailler, travailler et tuer le temps. Mais impossible de se mettre au travail. Se lever, et faire naître l'idée saugrenue de se mettre enfin au vert, d'organiser un pique nique diabolique à l'orée de la forêt. Guerrier se met donc en marche et cherche la sortie du bâtiment. Il veut franchir l'entrée lorsque deux hommes souriants bien propres sur eux, rasés visiblement de près le ramènent fermement à la porte de sa chambre. Lui, le héros, obtempère et rejoint son espace. Maintenant, le nez contre la vitre de sa chambre d'une blancheur éblouissante, il regarde fixement dehors. Il s'allonge sous le pommier, celui qui se trouve tout au fond du verger de son grand-père. Forme et contour précis, couleur bien définie, position parfaitement déterminée de la feuille puis de la branche… Enfin les yeux glissent vers un ciel sans nuage. Etendue vierge, lisse, calme. Repos du guerrier.
 
Jet de Yaourt Danone Actimel
Jet d'Encre Yellow
Jet de Sirop de rose Rooh Afza
Jet de Vernis Rouge Baiser
Jet de Moutarde Reflets de France
Jet de Sirop de Pêche
Jet d'ectoplasme
Jet d'Encre Chamois
Jet de Tomato ketchup Carrefour, allégé en sucre
Jet d'Encre noire Waterman
Jet d'Hextril bain de bouche, menthe
Jet de dentifrice
Jet d'Encre Grass Green
Jet de Lave-vitre
Jet de Bain Mouss' pomme verte, Carrefour

Quand les chiens replient leur niche

de

Régis MOULU, auteur animateur

ELLE
Yaourt. Force molle, la neige recule, les secondes s'égrènent voilà donc que l'inconséquence s'affaisse, rappelle ses oiseaux, défie l'alphabet, conteste les formes. Elle rayonne, enlève ses bas, aspire ses jambes, cherche un fauteuil sans pattes, aujourd'hui je ne mangerai pas, aujourd'hui c'est la journée nationale du coton, je reprendrai bien des légumes verts.
Encre jaune… Et puis tu es venu me voir comme le soleil se prend d'amour pour les paysages. Tes incessantes demandes, la légèreté de ton silence que tu as façonné avec ta vie, tu es beau comme un point de départ, et tu raconterais encore que tu n'as de cesse de visiter les sommets, prends ce ventre qu'est le mien, je veux bien faire la trêve des croyances, avoir des sabots aux pieds me manque, Sirop de rose, tout se paie, je te propose un sacrifice, un vrai, que tout soit rouge comme le sont tous les trous, il nous faut un gros essorage parce qu'un verre se boit jusqu'à la dernière goutte, parce qu'un chien ramène sa proie, parce que deux êtres se disent tout, tout du moins se le font comprendre, je sais que tout est dense entre nous, que l'espace n'est qu'une occasion de mensonge, j'ai entendu que tu bouillonnes, tu me parles d'une vérité qui nous ratisse, comment l'homme a-t-il pu se perdre un jour à vouloir dompter un cheval, reprends un peu de mots qu'on perde tout confort, que les lits fassent office de prisons.

Vernis rouge baiser. Je me sens légère, nous pouvons entrer dans la fête, tu me dis qu'entre deux êtres il y a toujours une histoire de gâteau, tu as planté les bougies à l'envers et tu me regardes, les yeux confits comme deux cerises. Je ne veux pas céder à la violence de ton sucre, vois ce que tu veux voir, peu m'en chaut, à présent : je prendrai tout mon temps pour me repeigner.

LUI
Je ne pensais pas te parler. Pas nécessaire. Jamais nécessaire, je crois.

Moutarde, inutile de dire des mots, de faire des taches, toute déclaration, la tienne y compris, est une ventouse ou, avec le temps, un filtre culotté, accepte ce rayon de soleil que j'ai fait entrer, comme quoi tout cogne sur le plancher, tu comprendras alors pourquoi, autrefois, j'y ai posé ma tête mais aujourd'hui je suis stationnant parce qu'affranchi, disponible parce que las. N'ayant plus l'âge des révélations, ce que je peux t'offrir se limitera à une confidence que je te prierai de ne jamais chercher à savoir. ELLE
Sirop de pêche. Tu pleures dans un verre d'eau, on a tous le corps qui fuit mais toi, plus, plus ou autrement, enfin je veux dire " tout d'un seul coup ", ou plutôt " au moment où l'on ne s'y attend pas ", et tu voudrais me faire croire que c'est sans raison. Je dormais quand tu es arrivé. C'est ta chaleur qui m'a réveillée. Les chiens frisent sur ton passage. Ton humeur m'inquiète. Je suis toujours inquiète quand quelque chose ne me plait pas. Autrefois, j'aurais déménagé pour moins que ça. Aujourd'hui que je sais que tu n'es que surprises, je resterai là, ronde et légère comme un rocking chair…
LUI
Ectoplasme. Ce que tu oublies, c'est que tu laisses des traces, pour te comprendre, il m'a suffi de lire dans tes pas, la façon dont tu écrases le sol, la façon dont il se tasse sous toi forment un orchestre sensible mais trêve de trompettes : c'est à ce jeu du "qui parle ne rit plus" que je peux le plus facilement perdre ! Entends-toi ! Avec toi la terre en a vu d'autres, je veux tes aveux, ton sommeil en plus !
Encre chamois. Il se tut. Comme pris au lasso. Une chape de doutes le racornit. C'était comme un malaise qui vous dévisse par le siège, une sorte de partie de chatouilles inversée. Comment sortir de ce bac à glaçons que la lucidité avait moulé ? Ici, tout a changé. C'était comme si une troisième personne non annoncée était là, depuis longtemps déjà, avec l'impatience au bout de son couteau. LUI
Tomato ketchup, allégé en sucre. Ancrons-nous, amarrons-nous, perçons tout, retrouvons le rouge qu'on ne rencontre qu'au plus profond du sol. Je vais te dire : le jour tombe, la vérité se fatigue, c'est l'heure où poussent les fleurs de sang, je sais la terre hémophile et le ciel ne s'en souciera pas, toujours il tournera !!! Un temps. Je te propose de tout arrêter. Si tu es dedans, je croirai en toi, en ton sens du miracle. J'ai toujours suspecté que tu avais la main verte surtout lorsque tu envoies ton regard de pioche sur moi.
ELLE
Encre noire Waterman… Idée de gouffre, appel à la coupe des langues, tu me rabotes la colonne, je tombe en chapelet, je ne me suis jamais sentie aussi près des poissons, je sais maintenant que la béance naît au plus profond de soi, je me manque à moi-même, swingue une dernière fois, je fais des virgules à tout ce qui bouge, dénonce le poids des dictionnaires trop lourds en lettres, trop lourds en caractère, mauvais coucheurs.
Hextril menthe bain de bouche, je veux de la fraîcheur ! que les insectes reviennent ! que leur imprévisibilité assourdissante me nettoie ! J'ai changé, pardonne-moi de t'avoir fait vieillir mais à présent on aura conscience que tout se croise au moins une fois ! Dentifrice… Et si je puis me permettre une petite touche de poésie, sache que depuis le début mes pieds te regardent. J'aime les gens qui rêvent d'être plats, concis comme un coup de nerf ou son contraire, la naissance de la joie ! LUI
Encre Grass Green. Accepteras-tu de considérer ce que je considère ? Accepteras-tu, comme moi, de prendre la nature pour un arc dont nous serions les flèches ?
Lave-vitre : elle en reste baba… comme si la mer avait monté jusqu'à ses yeux des pieds. L'air était lourd. Ils se sentirent tous deux sur le chemin de ronde qu'empruntent les tempêtes, le climat joue les saunas, tourne en saumure. Mouss' pomme verte. L'espoir d'une redistribution des nuages pointe son nez, le jour est devenu oblique, à souhait. Les montagnes reprennent leur tutoiement, les chiens replient leur niche avant d'aller hurler au fond des bois. Après qu'ils aient attendu ce qu'il fallait pour qu'on les oublie, ils réapparurent déguisés en oie afin d'agrandir le ciel de leur plus saillant "V".
 
Jet de Yaourt Danone Actimel
Jet d'Encre Yellow
Jet de Sirop de rose Rooh Afza
Jet de Vernis Rouge Baiser
Jet de Moutarde Reflets de France
Jet de Sirop de Pêche
Jet d'ectoplasme
Jet d'Encre Chamois
Jet de Tomato ketchup Carrefour, allégé en sucre
Jet d'Encre noire Waterman
Jet d'Hextril bain de bouche, menthe
Jet de dentifrice
Jet d'Encre Grass Green
Jet de Lave-vitre
Jet de Bain Mouss' pomme verte, Carrefour

Le safari gourmand

de

Rémi DANO

Je traverse ce pays de guimauve, là où roses sont les fauves. Un jour que j'ai quitté les cubes gris, les fumées mouvantes et la gente noire, et déjà la vie me guette. Un tigre me regarde. Il a des yeux de citron, une langue de chat et ses canines de marshmallow sont sorties. On me dit de faire attention. Mais je ne crains rien : je viens en ami et la bête sent bien que je ne suis pas gourmand. Elle s'en va comme si de rien était, non sans marquer au passage son territoire d'un jet fraise qui grave dans la meringue du sol un paraphe coloré aux senteurs sucrées. On me dit de faire attention. Je continue mon chemin. Il faut traverser la rivière blanche et nous marchons dessus pour gagner la rive miel, celle d'en face. De ce côté, il faut faire attention aussi. Il faut glisser nos pas entre les moutons. Ils sont minuscules, rassemblés en petits nuages jaunes et lumineux. Il ne faut pas les écraser. Il ne faut pas les déranger. Certains se regroupent, discutent un moment. Ils choisissent l'un des leurs, se rapprochent de lui, s'en écartent. L'élu tremble, dissimule ses maigres pattes sous sa toison. On me dit de faire attention. Je me recule. Le petit mouton décolle d'un coup, à l'oblique, en laissant derrière lui une traînée fluorescente et délicate. Le nuage jaune s'estompe. Tout ce petit monde saute de joie. On me dit de faire attention ; il ne faut pas les déranger. Si cela m'intéresse d'aller constater l'atterrissage ? Bien sûr, dis-je ! On longe le fleuve. Je ramasse des dragées, blanches aussi. Ici, je pourrais faire mille ricochets. Ca serait facile. Mais il ne faut pas. Non, mieux vaut ne pas les déranger. A quelques mètres de là, nous arrivons à l'endroit de la chute. Attention où vous marchez, me dit-on. La scène est difficile. C'est la dure loi de la vie. Le mini-mouton s'est écrasé dans une gerbe rouge éclatée aux fortes odeurs de rose. La jungle de bonbon est impitoyable. Un serpent à sonnette magenta, en rouleau étiré, amène sur les lieux toute sa clique. Il y a la maman, le plus grand des fils rouges, et les autres petits qui dessinent derrière elle des " s " entre les dragées éparpillées. Ils portent tous sur leur tête un petit chapeau ciré que leur mère leur à nouer sous le menton avec ses mains sans doigts. C'est pour la pluie de jus de clémentine me dit le guide, quand je les regarde passer. Ma présence n'a pas l'air de les gêner. Ils glissent devant moi sans me regarder. Ce n'est pas plus mal : il ne sont pas dérangés. Passons derrière les montagnes, me dit-on, et battons le framboisier de la cambrousse. Au passage, j'aurais bien mangé une framboise, tout de même, il y en a tellement par ici. Mais il vaut mieux pas. Ne les dérangeons pas. Nous montons les vallons, les descendons et gagnons les marais de sirop. Trois gros hippopotames jaune orangés se prélassent ici. On met du sirop dans sa gueule et on le verse sur le dos de son voisin. C'est amusant et ça ne coûte rien. Tout est naturel, et goûtu en plus. Je marche sur une biscotte, sans le faire exprès. Chuuuut me dit le guide. Ah, quelle erreur ! Un jour, j'espère, quand je serai guide aussi, je ferai plus attention. Les hippopotames nous ont repéré. Outrés, ils s'en vont au galop en dodelinant du derrière. Je suis gêné. Il faut que je fasse plus attention. Il ne reste des hippos qu'une forte senteur de sirop de pêche. Le fluide, déposé sur les rebords du marais, regagne calmement son lit. Tout es en ordre, maintenant. Tout est redevenu normal, du ciel vert pomme à la rivière blanche immobile, des marécages orange odorants au soleil bleu mélancolique. Il faut faire attention, me dit-on, il ne faut pas les déranger. Un vol d'oiseaux pensifs passe au dessus de nos têtes. Silence. Splaf ! Mais ! Il a fait sur mes chaussures !!! Deux cacas jaunes presque translucides. Ca sent le citron grillé. Ce n'est pas ça, me dit le guide, le pauvre ami a vomi. Vomi ? Les oiseaux ont le mal de l'air ici, me chuchote-t-il, mais il faut le dire tout bas car ça les vexe. Et j'ai l'air de quoi moi, maintenant, avec des chaussures fluo. Aller, au diable le caoutchouc et le cuir, je les retire. Je repose mes pieds nus sur le sol. C'est mou, c'est chaud, c'est nous. Où ces pieds me mèneront-ils puisqu'ici il n'y a ni route, ni chemin, pas de sillon tracé, pas d'asphalte étalée. Gagnons la jungle, plus loin derrière, me dit-on. Nous contournons le marais. Ne vous retournez pas me dit le guide. Je me retourne... Je surprends une salamandre qui nous filait. Elle est marron chocolat. Elle s'immobilise, surprise, et me regarde de ses petits yeux brillants. Elle hésite. Puis elle me fait un clin d'œil, se frotte les mains, me tire la langue, danse d'une patte sur l'autre. Quel est cet étrange balai ? Vous la rendez folle me dit-on ! Mais je n'ai rien fait !!! Elle balance la tête, fait un tour sur elle-même. Le guide s'approche et la pousse délicatement pour qu'elle s'en aille. Elle repart sur le chemin qu'elle s'est tracé : un chapelet de crottes de chocolat qui redessine les berges des marais. J'ai dû la déranger, je crois. Tâchons de nous faire plus petits. Tâchons de nous faire moins hommes. Nous repartons vers la jungle à pas de velours sur sol identique. Nous nous courbons, nous étirons, nous courbons de nouveau, nous étirons encore. Soudain, une déflagration. Je saute presque à plat ventre dans un monticule de gelée. Au dessus de nous, plus d'oiseaux mais deux énormes traits marron qui se croisent au milieu du vert céleste. Qu'est-ce donc ? J'interroge le guide du regard. Il est amusé. Pas de moi, bien sûr. Ce sont des écureuils volants en pleine saison des amours. Mais ils sont énormes et qu'est-ce qu'ils volent vite ! Ce ne sont pas eux qui volent vite se sont leurs avions ! Tout s'explique… La nature a sa logique que la logique ignore. Continuons. Continuons mais faisons attention : il ne faudrait pas les déranger. Je sors de ma gelée, un peu déconfit. Le temps pour les amoureux fous du volant de refaire un passage passionné. Il y a si peu de bruit ici que chaque bruissement surprend. Je manque donc de faire une rechute dans la gelée. Cette fois-ci, derrière les sillons marron qui zèbrent le vert du ciel, l'un des aviateurs poilus laisse une traînée noire. Je risque la question : qu'est-ce ? Des phéromones, pardi ! Mais ce sont des écureuils ! Oui, mais ils volent, insiste-t-il !!! Je réfléchis un instant. Je crois que je vais retirer la chemise, maintenant. Elle va disparaître comme les chaussures. Surtout… surtout, ne les dérangeons pas. Il n'y a pas de vent, plus un bruit mais de la vie ici. Et partout des faisceaux de couleurs et d'odeurs qui me transcendent. Et partout autour, du ciel, du vert. A droite, à gauche, en haut, en bas. Dans le petit coin en diagonal, par là, et aussi un peu plus loin derrière, par ici. Et ça sent bon le melon. Oui, l'air sent le melon, je crois. Une coccinelle turquoise vient se poser sur ma main, sur le chemin. Ma main sera peut-être son chemin, qui sait. Elle ne bouge plus. Je crois qu'elle est bien. Je crois que moi aussi. Je ne fais rien, sinon très attention. Je commence à me fondre dans le décor ; je prends des couleurs. Alors venez à moi essaims d'abeilles roses, nuées de moucherons mauves et amis coccinelles. Et colorez ma vie. Je me suis fait une amie, je crois. Si elle veut s'en aller, je ne l'en empêcherai pas. Mais c'est la première qui veuille bien de moi et je la préfère à mes côtés, le long de ce chemin qui n'en est pas un. Nous sommes à l'orée de la jungle. Mes pieds frôlent l'herbe vert foncé. De l'herbe verte… Je suis surpris, je questionne le guide. Il ne comprend pas. J'insiste : de l'herbe verte, ce n'est pas normal, pas ici. Il me dit que ce n'est rien, qu'elle change de couleur tout le temps, de taille aussi, l'important étant d'exister, pas de paraître. Tout est évident. Le ciel passe du vert au bleu : il va pleuvoir. Les serpents à sonnette ont eu le museau fin. Réfugions-nous sous les séquoias rouge, me propose le guide. Le ciel nous arrose de cracha bleu goût clémentine. Nous attendons là, sous les bras tendus du vieil arbre. La coccinelle a failli s'envoler sous la pluie mais, finalement, elle est restée. Je resterai bien, moi aussi, pour écouter pousser les confiseries et partager le temps de cette faune sauvage et bonne. Le beau temps revient - la pluie n'était pas vilaine - et nous sortons de notre cachette. Le retour au ciel pomme est salué par une harde d'éléphants verts fluo qui traverse lourdement la steppe saccharose. Il ni a rien à rajouter. D'ici, nous avons une vue dégagée sur les marais de sirop, les vallons de framboises et la plaine meringuée. Qu'est-ce qu'on est bien. La coccinelle est restée alors je resterai aussi. Et quand le guide s'en retournera mourir dans les villes, je lui succèderai mais en faisant toujours très attention. Il ne faut pas les déranger. Je retire mon pantalon
 
Jet de Yaourt Danone Actimel
Jet d'Encre Yellow
Jet de Sirop de rose Rooh Afza
Jet de Vernis Rouge Baiser
Jet de Moutarde Reflets de France
Jet de Sirop de Pêche
Jet d'ectoplasme
Jet d'Encre Chamois
Jet de Tomato ketchup Carrefour, allégé en sucre
Jet d'Encre noire Waterman
Jet d'Hextril bain de bouche, menthe
Jet de dentifrice
Jet d'Encre Grass Green
Jet de Lave-vitre
Jet de Bain Mouss' pomme verte, Carrefour

Ripipoint

de

Angeline LAUNAY

Tu parlais du ripipoint et ça te faisait rire toutes ces petites touches juxtaposées qui ne signifiaient rien, qui ne se dirigeaient nulle part, qui se tenaient juste là dans leur robe claire, leur corolle d'insouciance… Tu t'arrêtais particulièrement sur les passages ne dessinant aucune forme reconnaissable, ceux qui se justifiaient par la suavité de leur couleur, le lâcher -prise de la pensée… Tu disais : " regarde ces îles… c'est comme si elles voulaient s'en aller… mais elles demeurent où le destin les a placées. " Ripipoint, ripipoint… Lignes roses et taches jaunes… Ecchymoses ou hématomes… Vers et prose, texte-fantôme…Te souviens-tu de cette publicité au cinéma pour esquimaux glacés : " fraise-citron sont faits pour aller ensemble "… sur une musique fameuse… lala lala lala lala… promesse de bonheur fructueux, de bonheur aux deux parfums ! Rouge - " Pas de printemps pour Marnie "… Cette couleur te terrifiait aussi. Les mots s'écrivent avec le sang des serments éternels. Que m'écrivais-tu déjà ?... " Rien que toi, rien que ton nom, pour le cerner d'un peu plus de tendresse… " Caractères déformés par le temps, le temps qui estompe mais ne parvient pas à gommer les traces sombres des blessures… Tentons de déchiffrer les signes de mémoire… Mais je ne sais plus lire. Me voilà retombée dans l'enfance d'avant l'écriture, quand " hier ", " aujourd'hui " et " demain " restaient collés à plat comme les images du chocolat Cémoi, comme s'attrape une orange sur l'œil au lendemain d'une opération pour recouvrer la vue. " Petite moutarde " : féminin de " petit moutard ". Qu'est-ce qu'on a fait comme bêtises quand on était petit ! Je ne sais pas " vous ", mais moi, ça venait comme des cuillerées de moutarde sorties d'un pot à malices ! - Justement, un jour, j'ai cassé un pot de moutarde chez des amis… Tout s'est répandu sur la moquette de couleur moutarde… J'aurais pu ne rien dire ! Une autre fois, j'ai envoyé un verre de vin sur la chemise blanche d'un convive en racontant une histoire. Quand j'étais plus jeune, j'avais renversé une bouteille d'huile sur ma robe de communiante. Il a fallu la laver pour le lendemain matin car je devais la porter à la messe d'actions de grâces. J'avais plutôt accompli l'action de graisse ! Retour sur la couleur rose mais cette fois parfumée à la pêche printanière… teint de pêche, pêche à la peau de velours, crème à la pêche pour une peau de pêche… Je pèche par excès comme d'autres pèchent par défaut : on a les péchés qu'on peut ! On a la pèche qu'on peut !... Pèche d'enfer, pèche à la mouche. Pèche ou crève. C'est au choix… Le choix de la dernière pèche… On tire la carte au sabot… Au jeu de " qui perd gagne ", tous les coups sont permis… Permis de construire, permis de chasse. Permis pas permis… de conduire ou de choisir, permis de vie, permission de minuit. L'ectoplasme se manifeste sous la forme d'un jus incertain bien que les traces de ses pas soient visibles et quantifiables. Il marche en bordure de la scène et s'arrête en simple visite comme au Monopoly. " Est-ce toi, Marguerite ? - Réponds-moi. " N'abandonne pas ton âme au diable, cet incurable… Comment pourrait-il te la rendre ! Le liquide ectoplasmique, c'est jaune, c'est visqueux et ça n'a pas d'odeur. Quelques chamois passent par là. Ils croisent l'ectoplasme puis s'en éloignent en effectuant une boucle. Leur itinéraire les mène un peu partout… Veulent-ils nous faire comprendre que ce territoire leur appartient ? - Ils se suivent et semblent savoir où ils vont. Ils quittent des terres hostiles pour s'acheminer vers de nouveaux pâturages. L'espoir les mène à moins que ce ne soit l'instinct de survie… C'est leur manière d'expérimenter le monde. Leur route hélas les mène à l'enclos où pend la corde à nœud… pour quelle exécution sommaire, quelle " partie de cravate " comme on dit dans l'Ouest américain…. Une barrière pour ta prison, une corde pour te pendre… " Django, son livre de chevet était le colt " ! Il aurait pu choisir un autre accessoire pour affronter ses semblables. Erreur, sans doute involontaire… C'est le hasard qui l'a conduit à sa perte. Or le hasard ne conduit pas : il induit, il enduit… Le sang noir gicle, formant une ligne de démarcation, désagrégeant la corde et le nœud. Ici s'étend une cour pavée de bonnes intentions. " Si je marche dans la vallée des ténèbres, je ne crains nulle peur ". Voici la ligne de partage… Qu'aimerais-tu à partager ?... L'énergie ? Le mystère ? Une couleur venue d'on ne sait où se répand sur l'ensemble du pays, fraîche, aquatique, translucide. On se sent léger, inutile, à l'exemple de cette touche de bleu-turquoise tombée telle un morceau de pure inconscience dans une clairière de pure innocence. Non loin, un glacier attend l'arrivée de l'ours bleu que de téméraires chasseurs ont traqué en vain. L'animal mythique incarne " la consolation des grands espaces ", " l'appel de la forêt ", " la solitude de la pitié ". Grass-green… Arrive le danseur d'herbe. Il s'appelle Quana-la-Rose, le seul Indien qui arbore un mot français dans son nom. Sa maman lui a confectionné un pectoral en piquants de porc-épic qui représente deux ours debout en train de transmettre un message se perdant dans la nuit des temps. Il saute d'un pied sur l'autre, trace des chemins d'herbe qui tantôt se séparent, tantôt se rejoignent jusqu'à l'endroit où il piétine sur place au son de l'énorme tambour que martèlent ses frères en poussant des cris de coyote. Le brouillard se lève. Je t'aperçois soudain au travers des gouttelettes en suspension. Il ne s'agit plus du ripipoint. L'œuvre collégiale non-réaliste s'est maintenant imprégnée d'un lyrisme à la fois échevelé et ravageur. La fonction chlorophyllienne bat son plein. L'eau fluo coule à flot qui traverse l'enclos du pendu avant d'inonder la piste du danseur d'herbe. Je t'ai cherché partout dans cet océan de formes, de l'aube à la nuit profonde. Poussé par une logique indomptable, mon instinct m'a guidé. L'inconnu de la page blanche a disparu dans son costume de carnaval… ou peut-être médite-t-il à cet instant précis devant l'énigmatique mandala, empruntant les chemins indescriptibles inventés de la main même du hasard…
 
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Le chef d’œuvre méconnu(Description)

de

Marie-Odile GUIGNON

Une odeur acidulée émane de la rosée étalée en arabesque « goutte lé e » brillante et irisée : c’est un glacis velouté.Quelques pointillés, tels des petits cercles dispersés le long de la courbe d’éclaboussures sur le blanc de la soie, s’enfoncent lentement en estompant un chemin hasardeux … Surgissant d’un geste non calculé, des plaques de souffre s’éclaboussent à leur tour sur le support absorbant, elles tranchent et pénètrent dans le regard, le faisant vaciller par leur luminosité. La toile bouge et darde comme un soleil trop brillant, les empreintes se touchent et se frôlent dans une danse languissante. Soudain, une « flasque situ de » d’un rose fuchsia s’abat, mettant un point final difforme et épais à l’ébauche lumineuse, quelques points gluants s’implantent dans l’éclat citronné, d’autres contournent tout le motif et discrètement se placent à l’opposé. Venant d’un autre ailleurs mais de la même couleur, un tout petit fil allongé dessine des serpentines en continu et discontinu parfois avec un point plus ténu, écriture de mystère avec ses parallèles, chemin de transe avec ses variantes qui évitent délicatement la grosse « flaque situ de » toujours aussi gluante… Maintenant la voilà accompagnée par d’autres tas ocrés, cinq, arrangés en ordre décroissant pas très imposants mais un peu dégoûtants navrants rampants, ternissant l’atmosphère des matières à l’étale comme la mer agonisante sur la plage plate… Une coulée à peine orangée s’en vient pénétrer le rose sucré en glissant comme un serpent , elle dévore, s’insinue, délaie le motif qui s’estompe et se dénature en glu moirée. Ca continue. L’ectoplasme, une nouvelle consistance molle en plaques plus pâles, plus pastels, jaune paille, fluide, vient imprimer deux pas qui marquent les pérégrinations des substances. Un flux de brun coule ses bulles pointillistes… Berk !!! cette fois-ci, ça gicle et ça colle des silhouettes d’algues rouge-brun abandonnées par la marée sur le sable mouillé, condamnées à attendre le temps qui passe et repasse…la vague prochaine ou la mort certaine… . Noir… Un jet d’encre rebondit en petites perles hérissées de minuscules pointes acérées ou échevelées… Il draine ses éclaboussures en bruine complexe imperceptible et discrète. Un parfum de menthe s’exhale subitement d’un sentier émeraude aquarellé imbibant toutes les taches de sa fluidité transparente et mouillé, la fraîcheur émane de ses nuances dégradées… …Auxquelles vient se joindre dans un espace vierge, une tâche minimaliste telle une pierre précieuse, d’un turquoise fluorescent de si peu d’importance volumétrique mais d’une densité discrète et subtile. La petite trace a-t-elle un avenir comme le petit poisson deviendra grand ? Oeuvre balbutiante au futur prometteur ?… Déjà la métamorphose s’impose… Une vive coulée jaillit en chapelet dans ses rondeurs granulées voilà l’effet d’un vert ( ver ? ) grandissant non pas dans la pomme mais de la chlorophylle des prés, de l’aube verdoyante des blés quand le vent de sa caresse printanière ondule leurs surfaces dans les courbes de la tiède campagne des vastes espaces balayés… La capillarité d’une pulvérisation émulsifie alors l’ensemble du centre des couleurs, des motifs s’agrandissent, d’autres s’éclaircissent, la consistance se fluidifie… Traversant d’un angle à l’autre une diagonale s’élance d’un trait vert amande, elle trace de sa bave collante des mélanges ragoûtants du plus bel effet plastique, une mare se forme presque au centre, instituant une dépression. Alors, dans les ailleurs, des reliefs apparaissent un peu partout en formant des vallées, des sommets, des pentes douces ou abruptes, la trace oblique se méandre comme une rivière au fond d’une vallée, elle glisse dans la sérénité de sa fluidité vers un achèvement en se confondant dans la trame du support revêtue de la mélodie des couleurs : Les substances des créateurs. L’œuvre unique signe sa destinée
 
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Voyage au bout de l'happening ou le surréalisme en construcrtion

d'ARGOPHILHEIN

Clé de sol, volutes, rose nacré sur fond blanc, c'est léger, aérien, en mouvement et en même temps, c'est figé à jamais dans le rectangle de papier qui se déroule sous mes yeux. Il recouvre le sol comme une toile jetée sans prétention, comme on ferait avec une nappe pour un pique-nique à la campagne - nappe qui couvrirait un sol légèrement bosselé et qui prendrait ainsi un relief, une épaisseur au hasard du mouvement du terrain. Frais, tendre, acidulé, jaune citron sur rose nacré, c'est le printemps et ses bouquets. Mais le mouvement est arrêté, barré, empâté par les taches citronnées qui s'accrochent au papier, pèsent sur lui comme des traces de pas d'animaux sur un sol humide. Musique d'été, notes et clé, c'est gai, une partition écrite en arabe, à l'envers : la clé à droite, les notes à gauche. Shéhérazade, peut-être ? Sirop de rose sur curry de poulet, c'est toujours l'orient, mais indien et gourmet. Un angle sur la trajectoire nacrée de points roses, un petit coin de cosmos, la casserole ou la voie lactée - lactée par le yoghourt rose - Des coquelicots dans un champ de blés, le soleil qui les jaunit, c'est mon petit coin de Rif en été, quand, en traversant la route, je me cachais dans les blés, entre les grosses pierres qui les parsemaient. Volutes, vagues, traits légers, pleins et déliés, les shadocks en boîte de nuit dans leur monde inter-sidérant. Une écriture étrange, étrangère, peut-être de l'arabe, de gauche à droite, vue de mon moucharabieh. Une envolée lyrique, quelque ritournelle qui ne peut pas se répéter : elle est là, sur la toile, traverse la partition, elle voudrait revenir mais s'arrête sur le papier. Moutarde en petits pâtés, cacas d'enfants ou de gros pigeons, mais la scatologie est gaie, les couleurs toujours tendres et l'odeur à peine épicée. C'est un hymne à la joie et une chanson légère flotte dans l'air. Coule un embryon, une sorte d'hippocampe qui ne cesse de remonter l'épine dorsale du dinosaure pink-yellow du Crétacé. Ce sont des entrailles qui se vident, un intestin mal placé : est-il dans la nuque, se vidant dans la colonne vertébrale, ou entre les lombaires, se faufilant vers le sacrum et la queue du diable qui le termine ? Tout a changé : la musique s'est épaissit, enrayée. L'évidement sature les orifices, la toile prend un air fermé. L'ectoplasme jeté, deux ellipses jaunes entourent la tête rose-pêche nacrée de l'hippocampe géant qui s'est depuis formé. Il prend toute la place, en biais, par un mouvement diagonal et me regarde, la tête penchée entre deux aspérités ovales recouvertes de coraux jaunes. Que veut-il me dire ? Que va-t-il se passer ? Une danseuse espagnole avec sa jupe à larges volants, son éventail au-dessus de la tête, l'objectophage : il est en elle, comme la danse qui la possède et sa colonne dorsale lui sert de colonne vertébrale. C'est maintenant la danse des anneaux, qui se meuvent avec élégance et rondeur. Deux épées qui se choquent, la mort par le sang, la danse se termine par une tragédie : Carmen, qu'as-tu fait ? Des tripes rouge sang, globuleuses, plasmatiques, sortent des entrailles hautes - la poitrine peut-être - de la danseuse-objectophage. Le drame est consumé : l'espagnole à cheval est presque à terre, elle tombe, le corps crevé. Un sujet pour Goya, à ses débuts, quand il entendait encore les couleurs de la vie. Croix de bois, croix de fer, va en enfer. Jésus, es-tu là ? Peut-être aussi la faucille et le marteau - ma vue plonge au-dessus du chapeau - Jésus et Marx, c'est pas si opposé que ça, c'est même plutôt une constante : tout pour tous, et pas seulement pour certains. Le partage, quoi. Juré - ce n'est pas une injure, c'est un vieux mot qui a perdu son chemin, c'est pour ça qu'il n'a plus pour nous de sens. Mon monde horizontal devient plus sombre, l'automne a recouvert les couleurs de l'été. Enfin, je revis, le grand bleu, le grand ciel, une odeur mentholée fraîche et vive qui dynamise, nettoie les cavités bouchées par tant de boudin. Une onde turquoise traverse en vagues l'ancien cimetière ... de corps et d'idées. Tout bouge, le mouvement renaît, la vie va bientôt surgir, sur terre et dans les cieux. Sommes-nous à l'aube de l'humanité ou après nos épisodes préférées de guerres-chaos ? Caries en vert-fluo, petites heureusement, qui, bien qu'étant perdues dans ce grand étendoir de matières, se posent en vraies taches vert-émeraude, bien épaisses, figurant des touts petits lacs dans cet univers in-sensé. Où suis-je ? Dans les airs, j'ai deux ailes : une verte, une marron et un système qui les fait fonctionner sur mon dos. J'ai eu très peur de me lancer en courant sur la falaise, mais maintenant, je suis un objet volant non identifié, un ange peut-être ... Après un lavage de sol avec un produit pour vitres, un coucher de soleil irisé apparaît, recouvrant d'un beau vert-rosé la tête de l'hippocampe. Des myriades d'étoiles vertes, brillantes, sont irradiées par les derniers feux du soleil couchant . Un petit bout d'Afrique du Sud ressurgit dans la savane pré-crépusculaire. Pomme de reinette, pas pomme d'api, un grand jet vert diagonal qui tranche l'épine dorsale du dinosaure. Vert, mais pas si tendre que ça ! Une épée à tête d'antilope et à pied de chameau cornu, avec un ventre distendu, sorte de poche-kangourou qui sépare l'objet en deux. Je perds mes repères, l'in-sensé fait sa loi : je suis dans un monde où restent encore la tête et la queue, selon ma perspective, mais jusqu'à quand ? Pour l'instant, c'est un espace divisé en deux, haut et bas, avec un point central qui les réunit : le lac vert formé par ma précédente panse. Deux éventails ouverts et inversés qui se touchent par leurs extrémités, le bien et le mal peut-être, s'ils existent hors de ma pensée ?
 
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La voisine

de

Janine NOWAK

Une odeur douce, sucrée, aromatisée (fraise ? framboise ? mûre ?) vient flatter mes narines. Tiens, me dis-je, la voisine du dessous va encore frapper ; la voilà affairée à ses fourneaux. Elle semble commencer par le dessert aujourd'hui. Parions que je vais, une fois de plus, servir de cobaye. Ce n'est pas forcément désagréable, d'ailleurs ; elle est plutôt douée pour la cuisine, cette femme. Mais je la vois venir, celle-là, avec les yeux énamourés qu'elle me fait chaque fois que nous nous croisons dans les escaliers, des " yeux de crapaud mort d'amour ", comme dirait ma sœur qui est, décidemment, une vraie langue de vipère.

Oh, elle est charmante, ma voisine. Enfin, charmante… je me comprends : elle est sympathique, douce, pas coléreuse, très généreuse, bonne voisine. Elle est " bien brave ", comme on dit dans le midi, avec la connotation péjorative sous-entendue. Mais côté physique, ouh la la… elle n'est pas " canon " ! Et puis l'élégance, la toilette, bref, tout ce qui rend une femme si séduisante, ne sont pas son fort. Elle ne sait pas s'arranger.
Soyons honnête : je ne suis pas non plus Alain Delon à l'époque de " la Piscine " ou du " Clan des Siciliens " ;
mais tout de même, j'ai de la prestance, je suis plutôt " joli garçon ". Et ce n'est pas seulement l'avis de mon miroir. Quelques créatures du beau sexe ont eu l'élégance de me le confirmer …
Eh, eh ! A présent elle utilise du citron. Elle est maligne… finaude… elle sait que j'en raffole. Pas de doute : le menu est composé en mon honneur.
Je suis un bel hypocrite, quand même ! J'accepte ses invitations alors qu'il est bien clair qu'avec moi, elle n'a aucune chance. Mais vraiment aucune, aucune, aucune.
Cependant, vaillamment, telle une araignée, qui s'obstine à tisser sa toile, elle essaye de me séduire par l'estomac. Aurait-elle trop écouté les conseils de Juliette Gréco, qui voici quelques décennies, avait dans son répertoire une chanson conseillant aux femmes " d'apprendre la cuisi-i-i-ne, qui retient les petits maris, qui se débi-i-inent ".
Hélas, hélas, trois fois " hélas " : elle n'est plus de la première jeunesse, cette pauvre Ginette. Ben oui… en plus elle s'appelle Ginette. Décidemment pas favorisée, non.
Certes, je ne suis pas non plus un fringant jeune-homme. J'ai le charme des " tempes grises ", la " cinquantaine séduisante ", pour reprendre les formules de la littérature de gare dont elle est très friande et qu'elle dévore à longueur de journées, cette pauvre fille. Ah… La fragrance qui m'arrive, m'invite à penser qu'elle passe au plat de résistance. Il me semble reconnaître un coulis de tomate qui mijote. Et puis… cette senteur un peu acide, vinaigrée… ne serait-ce pas celle d'un lapin à la moutarde ? Voilà qui serait pour ne pas me déplaire ; elle le réussit particulièrement bien. Ainsi que ses épinards hachés menu, relevés d'une pointe d'ail… hum !
L'heure tourne, et avec toutes ces sollicitations olfactives, je commence à avoir bougrement faim, moi. Bon, expédions ces corrections de copies, et après l'effort, le réconfort : je vais me faire un petit plaisir en me mettant à mon chevalet en attendant l'heure du repas.
A présent, je suis affamé. C'est que je suis particulièrement sensible aux odeurs. J'aurais pu faire " nez " chez un grand parfumeur. Ou tiens, œnologue. Ah, œnologue, quelle belle profession ! Car je m'y connais en vin. Attention, j'en bois peu, et seulement des vins de qualité. D'ailleurs, Ginette sait diablement bien les choisir. Pas une seule faute de goût. Elle sait marier les plats et les grands crus.
Faut reconnaître, elle me traite bien. La dernière fois, elle m'a fait goûter à un Bourgogne dans toute sa splendeur. C'était un " Hospices de Beaune ", à la robe couleur rubis profond, qui a dû lui coûter une vraie fortune. Pas grave ; elle a les moyens.
En fait, ce ne serait pas un mauvais parti, Ginette. Si j'étais un tant soit peu raisonnable… Mais non, non : je suis un célibataire endurci. Et puis quand même, elle est trop " tarte " ! Oh, à propos de tarte, celle de l'autre jour, la salée avec les trois fromages, était un vrai délice.
Bon, pour en revenir à mon célibat… Endurci… Endurci… C'est vite dit. Faut voir… Mon salaire d'instituteur ne me permet pas de rouler sur l'or. Je ne suis même pas propriétaire de mon appartement. Ginette, si, elle : elle l'est.
Sans compter sa résidence secondaire dans le Lubéron : un mas tout à fait ravissant ; j'ai vu les photographies. D'ailleurs, plus d'une fois, elle m'a proposé " en tout bien, tout honneur " - tu parles ! - d'y faire un séjour. Evidemment, avec tous les congés dont je dispose, ce serait envisageable. Ses revenus semblent coquets, à Ginette. Elle n'a jamais travaillé. Elle se contente de gérer une fortune personnelle qui ne semble pas négligeable.
Bon. A mes pinceaux. C'est très étrange : depuis que je fréquente Ginette, ma peinture a évolué, a pris une toute autre tournure. Avant, il faut bien le reconnaître, je faisais dans le genre " pompier ". Mais depuis quelques temps, je me suis lancé dans l'abstrait, dans le tachisme, pourrait-on dire. C'est très curieux… très étrange. Vraiment, je ne sais pas à quoi c'est dû… Sale menteur ! Si tu sais très bien : tu flattes Ginette et elle t'inspire.
On sonne. Va falloir y aller… Vite, un coup d'œil à mon miroir en passant. C'est bon : rien ne cloche.
" Ginette, ma Chère ! Quelle heureuse surprise ! Quel bon vent vous amène ? Comment ? Vous m'invitez à dîner ? Si je m'attendais ! C'est trop aimable à vous. J'accepte très volontiers. Qu'a-t-elle votre tenue ? Mais non, voyons ; vous êtes ravissante. Vous savez que j'adore vous voir dans ce que je pourrais qualifier " votre tenue de travail ". Quelle débauche de couleurs ! Tout le menu est inscrit sur votre tablier. D'ailleurs, j'ai une faveur à vous demander, Chère Amie : accepteriez- vous de m'offrir celui-ci, comme vous m'avez déjà fait cadeau des trois précédents ? Je peux ainsi rêver de vous… Oh, vous me flattez… Vous trouvez sincèrement que je sais tourner le madrigal ? Mais comment ne serait-on pas inspiré devant tant de charmes ! Je vous suis, Chère Ginette, je vous suis…
Comment, les vacances de Pâques ? Oui, c'est dans huit jours… Non… je m'interroge, je n'ai encore rien de prévu… Je suis libre comme l'air… En effet, les amandiers en fleurs, dans le midi, pourraient être une bonne source d'inspiration pour ma peinture, et bla, bla, bla, et bla, bla, bla, et bla, bla, bla… ".
 
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Que de couleurs !

d'

Aurélie BOCCARA

Que de couleurs ! Un yaourt rose, oh la la, que c'est joli et ça sent même bon ! Ca sent la fraise, mais pas la fraise Tagada. Ca sent les enfants, ou plutôt l'enfance. Oh, il n' a que ça de vrai. Et puis le rose, ça fait forcément penser aux enfants et en particulier aux petites filles, oui ! Elles naissent dans les roses, non ? Le rose c'est le calme, la douceur, le repos, le blanc presque, la naïveté et tout ce qui en ressort. J'aimerais bien être une grande fraise, et qu'on me croque. Ah, une autre idée me vient, concernant le rose et la fraise : il paraît que les femmes enceintes réclament des fraises : on dit qu'elles ont des envies de fraises. En fait le yaourt rose s'est transformé sur la toile en espèce de serpent, mais pas venimeux, un serpent qui tourne autour, qui rampe, et qui vient peut-être nous prévenir l'avenir : un enfant est à venir Oh, l'encre magique, l'encre divine, l'encre jaune, telle un soleil, ou plutôt une myriade de soleil : tels des milliards de petits et moyens points qui " reflètent le soleil ". Tout ce jaune, qui nous " aveugle " presque mélangé avec le rose du yaourt : on croirait déjà voir là, l'œuvre d'un grand maître. C'est une vraie toile, mais qui en est l'auteur ? Et pourquoi ces couleurs, belles, c'est incontestable, mais troublantes à la fois, par leur " candeur ", leur " douceur ", leur " naïveté ", si l'on peut employer ces termes. Chacun peut y voir (dans la toile) de l'abstrait et du concret, moi, je n'y vois ni l'un, ni l'autre. Je n'essaie d'ailleurs pas ; je vois seulement une toile. Je m'aperçois que comme j'analyse cette toile, j'analyse aussi ses auteurs et ses caractéristiques. Ah quoi bon ? Deux tâches, ah oui, vraiment deux tâches car elles sont rouges, un rouge brillant, bouillonnant, troublant, qui fait peur comme la mort. Et oui, ce n'est pas la première fois que j'en parle : qui dit rouge, dit sang, qui dit sang, dit soit maladie mortelle, soit la mort toute seule et toute bête, stupide, idiote… Mais, et là aussi, je me répète, le sang c'est aussi le sang sur un bébé qui vient de naître, c'est aussi le sang qui entoure le cœur et d'autres organes qui battent fort, le sang c'est aussi la vie qu'on donne à une personne qui a besoin d'être transfusée par exemple, et on pourrait continuer la liste longtemps comme ça. Ce qui me chagrine dans cette toile, c'est que j'ai l'impression que ces deux tâches rouges sont " en opposition " comme si elles faisaient la guerre et qui dit la guerre dit aussi la mort, donc le sang, donc on tourne en rond : c'est le serpent qui se mort la queue. Encore du rouge, décidément , ça n'a été que du rose ou du rouge, à croire que Régis veut nous faire procréer, et ensuite voir naître des enfants (des filles) dans les roses ou alors qu'il a décidé aujourd'hui d'un massacre à la tronçonneuse, façon D. Harms, donc plutôt à coups de petits mots subtils et sournois, mais qui font " mal ", qui font " bobo " au cœur. Ce serait mieux de nous dire que de toutes façons, mourir c'est rigolo, on se marre bien, on s'éclate bien…. Je remarque que le rouge n'est pas représenté par deux simples taches, mais plutôt par une sorte de vague, monotone ; on pourrait également imaginer des gammes au piano et donc des partitions de solfège. Ah, ça y est : on revient au jaune. On oublie un peu le rouge agressif et sournois. A quoi vous fait penser le jaune : au SOLEIL, of course. C'est inévitable. Mais le jaune, c'est aussi la Force et surtout le Feu, la joie, le bonheur, signes de vie, mais aussi signe de destruction. On voit ici la référence aux batailles, aux luttes, souvent sanguinaires (ah, le rouge revient) Le Jaune, le Feu s'attirent et se repoussent à la fois. Cet antagonisme pose problème : qui aimer ? qui détester ? On ne peut pas adorer et détester une même entité. Ce serait absurde, mais n'est-on pas déjà dans l'absurde ? Voilà encore et encore du jaune, un peu " orangisant " je l'admets, mais encore du jaune. Y en a marre à la fin ! Les Jaunes sont jaloux, ils veulent la guerre, eh bien ils l'auront. On ne va pas se laisser marcher sur les pieds par de vulgaires " tâches ", " traînées " jaunes . Nous, les Rouges et pas les peaux rouges ; nous on est fiers et volontaires et on est des gagnants, pas des mouchards comme les Jaunes, qui pactisent avec le Soleil. Voilà ça devait être dit, c'est dit ! Vous allez me dire que je me répète mais une fois de plus c'est du jaune. Alors moi, là je dis stop, basta, finito, y en a marre ! Et puis cet ectoplasme, Ça fait penser à la mort ; moi, dans tout ça, rien ne me plaît : c'est morbide et " chiant ", veuillez me pardonner pour le terme ! Oh joie, oh bonheur : le Rouge est revenue, is back. Je m'explique, dans cette œuvre, à laquelle chacun de nous participe, vient d'apparaître la couleur (approximative) marron : il y a du jaune bien sûr mais (ouf) aussi du rouge. Tout n'était donc pas perdu. Une explosion de rouge, de marron, de chair, de cœur, de sang, de torpeur, de morbide, de mort, de rancœur, de remord, de peur, d'angoisse. Tout ça pour une malheureuse toile, qu'une poignée d'aliénés s'est mis en charge de "peindre", ou plutôt "essayer de peindre". Une jolie ligne, un joli chemin, une jolie signature, de mort, d'angoisse, de peur, mais en tout cas proche du marron. Plutôt proche avec la connotation morbide (du noir) et donc sanguinaire du rouge. Un rouge qui prend acte une nouvelle fois dans la toile et qui fait fuir ce jaune, obsédant, et énervant. Il nous gâche l'existence. Du bleu, toujours du bleu, encore du bleu pour les beaux yeux de qui eh bien pour vous. On y a pas droit peut-être ! On l'a mérité, avec tout notre travail et tout le mal qu'on s'est donné. Et puis, de toutes façons, tout le monde a droit à son quart d'heure de gloire, c'est bien Andy Warhol qui l'a dit, non ? Le Bleu c'est chouette, car ça fait penser au beau temps, à la mer, au ciel aussi, aux vacances…En tout cas, ce qui est sûr c'est que pour une fois, il n'y aura pas de discours entre le jaune et le rouge. Encore du BLEU : YES !!!! Alors voilà on est " mal " : du green, du vert. Que va-t-on faire avec cette couleur ? On ne lui avait pas demandé de venir. Qu'est-elle venue faire au milieu de nous tous. Elle aurait pu sonner à la porte et demander s'il y avait quelqu'un c'est à dire nous. Quelle impolitesse : ah les couleurs de maintenant, c'est plus ce qui se faisait dans le temps…. Mais tout de même, quand j'y repense : on la reçoit, on la fait même dormir à la maison, elle mange à notre table. Et puis, elle s'en va ; et pas en remerciement, pas un mot, rien. Les couleurs de maintenant, elles exagèrent !!! Incolore, inodore, rien, rien, rien : à quoi sert tout ce remue-ménage ? C'est du Régis Moulu multicolore, comme sa chemise. Et la pomme, c'est la copine de Chirac, en 1995 ou en 2002, je ne sais plus, c'est la couleur de l'espoir ! Qui dit que Chirac rime avec espoir ? Les SDF du Canal Saint-Martin sont sans doute mieux placés que moi pour en parler !!!
 
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La sainte Catherine

de

Janine BERNARD

Elle est coiffée. Tout de rose. La Sainte Catherine c'est pour bientôt. Les mains de la couturière s'activent. Rubans qui brillent, dentelles scintillantes. La coiffe est en fils d'argent qui courent autour de ses boucles brunes. Elle ferme les yeux. Les mains virevoltent autour d'elle. Elle sent deux forces l'attraper aux épaules. - Regarde, dit la voix. Ses yeux s'ouvrent. En face d'elle, le miroir renvoie son image dans la boutique sombre. Etincelant. La coiffe resplendit. Les rubans flirtent avec la dentelle. Le boutique s'est emplie de soleil. Magnifique. Elle pense au bijou que son père lui a promis pour le grand soir. Il sera du plus bel effet sur sa gorge maintenant épanouie. Vingt-cinq ans. Le bel âge, dit sa mère. L'âge de convoler. Enfin ! Coiffer la Sainte Catherine n'a rien de honteux. Pourtant… Elle touche ses seins sous le caraco de molleton. Combien d'années les a t-elle regardés pousser comme des plantes endormies ? Sous le menton les pans d'un nœud tiennent la coiffe. Ils retombent mollement, prêts à s'envoler au moindre mouvement. Elle tourne une fois sur elle-même, puis deux, puis trois. Elle s'étourdit, comme au bal à venir. Elle sera belle, belle, belle ! Le bijou promis, elle l'imagine, accroché là, à son cou. Plein, noble, pesant. A l'image de la famille et de sa notoriété dans le canton. - Là, sur le côté, lui dit la couturière, que penserais-tu d'une épingle rouge pour souligner tes cheveux ? Et Madame Choiseul ouvre un tiroir d'un meuble bas contre le mur. Elle plante l'épingle sur le côté droit. Un petit clou brillant, juste pour rehausser l'ordonnancement de la coiffe. Son attente serait pleine autant que son corps, s'il n'y avait pas cette lettre et ses mots réguliers qui remplissent l'espace blanc du court papier. Couchés les uns près des autres. Elle l'a reçue ce matin et les mots sont restés sagement alignés dans son aumonière mais aussi dans sa tête . Elle sait la lettre ambiguë, pleine de sous-entendus avec une odeur de doute et de suspicion qui l'a troublée. La couturière l'a fait asseoir sur le fauteuil, la couvrant d'un châle le temps d'un nouvel apprêtement. La coiffe lumineuse est toujours sur sa tête, en attendant la robe, la grande surprise. Qui a écrit cette lettre ? L'écriture lui était totalement inconnue. Régulière, sagement ordonnancée, mais avec tant de zones d'ombre. " Mademoiselle, On vous trompe. Si vous désirez connaître l'auteur de ces modestes mots, venez au bal des Catherinettes et ouvrez grands vos yeux et vos oreilles. Je ne vous lâcherai pas. Je vous sauverai et je vous aime. Avec l'espoir que vous lirez mon cœur jusqu'au dernier battement, à bientôt. " Aucune signature. Et cette pluie qui s'est remise à tomber. Elle s'écrase en gouttes mates sur les chaumes du toit. La boue du chemin qui ne manquera pas de souiller le bas de sa robe l'inquiète déjà. Il faudra soulever le taffetas alors que ses mains gantées de noire dentelle seront froides et malhabiles. La pluie contente son paysan de père ,mais elle, elle la hait. L'étincelant de sa coiffe quitte, au fur et à mesure de l'attente, la gaieté de son cœur. Elle se sent lasse, tout à coup. Quel flot de larmes refoule à ses yeux ? La coiffe d'argent vire au vert d'eau dans le miroir. Elle frissonne et renifle un grand coup, essuyant d'un revers de main son nez déjà prêt à couler. Elle, la Catherinette, riche d'un père sourcilleux et fortuné, là, idiote, aux affres de la tragédie parce qu'il pleut et qu'une lettre la terrorise ? Que dirait mère si elle la lui montrait ? Qui la rassurera ? Comment arriver au bal avec le bas de sa robe crottée alors que son soupirant n'aura d'yeux que pour elle ? Elle qui ne le reconnaîtra pas ? Qui est-il ? Est-ce le grand Gaspard ? Impossible. Il ne sait pas écrire le nigaud et confond son nom avec celui de son voisin. Le petit Lucas ? Qui cache ses sacs d'or au fond de sa grange et dort à l'intérieur de peur qu'on ne les lui vole la nuit ? Odieux personnage. - Tourne, dit la femme. Le mouvement du tissu ondule autour d'elle. La lampe à pétrole, sur le buffet, attise le feu qui renvoie l'ombre du taffetas. - Cette couleur brune, Madame Choiseul, quel nom lui donnez-vous ? - Chamois. Chamois dans les bois. - Vraiment ? Elle caresse l'étoffe de sa robe, ce tissu souple,ce " chamois " si doux. Caresser le poil d'un animal lui a toujours procuré un intense plaisir. Un plaisir qui l'effrayait lorsqu'elle était enfant. Qu'un animal passe à proximité de ses bras et il fallait passer à la caresse. Comme un aimant. Rien que pour sentir sous ses doigts, la félicité du poil. Que sentira-t-elle sur sa peau le soir de ses noces ? La peau boutonneuse du Gros Riri ? Elle en a déjà la nausée. " Cet imbécile de Riri, tire l'épée aussi vite qu'il tire une fille ! ". Elle l'a entendu dans la bouche de son père l'autre soir en poussant du coude Maître Burgeaud le bourrelier venu boire un petit verre d'absinthe. Elle n'a pas compris l'hilarité des deux hommes. Faut dire qu'aux hommes, elle n'y connaît pas grand chose. Que les hommes lui paraissent si bêtas, dans leur ensemble. D'ailleurs, le plus souvent, elle les évite. D'instinct. Madame Choiseul recouvre le taffetas brun d'un léger tulle vaporeux à souhait. Quelle merveille ! Son éclat dilue l'opacité du tissu. Les mains de la couturière s'agitent, froissent, doublent, froncent , donnant des petits coups réguliers le long de la jupe. Des petits diamants apparaissent sur le corset chamois. Les doigts fins de la couturière puisent dans sa poche et attachent, comme par miracle ,des dizaines de petites boules qui éclatent comme mille lucioles de lumière. - Tu seras la plus désirable, Marinette, dit Madame Choiseul. La couturière recule d'un pas et penche la tête en recherche du défaut malin à gommer ou de la dernière retouche à apporter. Un petit plus qui réhausserait le tout. Mais faut il seulement le rehausser ? Elle boucle un ruban par ci, tape un pan de la jupe par là et dodeline de la tête pour ne rien oublier. - Voilà, jeune fille, j'ai fait de mon mieux, dis le à ta chère Maman. A toi de jouer, maintenant. A toi de tourner ton ombrelle et ta langue dans ta bouche pour trouver l'oiseau rare dans ce foutu poulailler qu'est notre canton. A part de vieux coqs ou de jeunes oisillons… - Elle sourit malicieusement. Notre canton est un bien grand désert d'homme, d'hommes dignes de ce nom. Marinette serre son aumonière. La lettre forme une légère bosse sous ses doigts. Dans ce désert, auquel fait référence la pessimiste Madame Choiseul, il y a un merle scripteur qui n'hésite pas à battre des ailes. Et c'est tout l'optimisme du cœur de Marinette que de penser qu'en lieu et place d'un vilain barbon, le village recèle un Don Juan inconnu, frais comme une fontaine d'été, vert comme un gazon anglais et tendre comme les brioches de sa mère le jour de la Sainte Marie. Elle a quitté la robe chamois. Elle s'est déchaussée des ballerines cirées et, délicatement, elle a retiré la coiffe d'argent avant d'embrasser fort Madame Choiseul. Puis, elle a renfilé sa robe de lin, ses mis bas de laine rêche, et ses sabot de bois. - Dis à ta mère que je porterai l'ensemble avant la tombée de la nuit, demain. - Ainsi tu auras quelques heures pour que la maisonnée t'admire. Allez va, la Catherinette. Et sois sage ! Marinette serre son aumonière contre elle sous la pélerine. Elle rentre. Son pas claque entre les flaques et les rigoles qui renvoient la lumière glauque du sol. Elle qui aime tant le printemps, son herbe verte, ses tendres tapis de mousses frétillant près de chaque rocher du vallon, si doux à caresser. Ce printemps qui viendra et n'oubliera pas de la lancer qui sait ? dans les bras d'un homme. ? d'un homme digne de ce nom ? Qu'entendait Madame Choiseul sous cette phrase ? Printemps qui n'oubliera pas de peindre ses touches de couleurs jour après jour dans la campagne d'ici quelques mois. Alors tout sera recouvert de poils plus tendres à caresser les uns que les autres. Des blancs, des roses, des fleurs, de la vie comme cette coiffe argentée qui repose à présent sur le taffetas chamois dans le grand carton beige. - Marinette ! Marinette ! La voix basse a stoppé net le pas pressé. Marinette a tourné la tête. Vers un coin noir, sur sa droite, juste à l'angle de la porte Vaugirard et de l'huis de Maitre Lajoie le notaire, elle entend un léger halètement. Elle resserre sa pélerine. - Qui est là ? dit-elle d'une voix serrée à la cordelette. Qui m'appelle ? Elle a pensé à tout, Marinette, sauf à ce qui l'attendait…


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Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

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