SAMEDI 8 Mars 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème : Inoculer la promiscuité divine (Le Tintoret)

Au cours de cette séance, il s'agit d'écrire de manière synthétique afin de viser une excellence dont la portée est visionnaire. L'humain devient donc une "donnée" sacrée !...

L'ambition est forte, presque effrayante, mais il suffira de procéder avec méthode... Mais inutile d'en dire plus, comme pour mieux rester dans le sujet !!

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : le texte doit finir par cette phrase : "dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent ses ailes"
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué... C'est fôôôôrmidable, non ?!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Le cerf-volant" de Marie-Odile GUIGNON

- "Contrée subtilisée" de Régis MOULU

- "La différence en prise avec l’indifférence" de Christiane FAURIE

- "L'Egarée" de Dominique DOUSSAUD

- "Pharaon" de Janine NOWAK

- "Hawa-Annah" d'Ella KOZèS

- "Recherche" de Nadine CHEVALLIER

 


"Le cerf-volant" de Marie-Odile GUIGNON


Une atmosphère humide caresse une grande salle mi-obscure.
Des ombres folles dansent sur les parois d'un labyrinthe changeant.
L'ambiance argent et or jette des éclats de lumière qui glissent entre
les passages aménagés.
Ça et là se dressent de grandes structures sculptées.
Des mâts, noyés dans de grands reflets d'ocre et de brun, se perdent
dans des lignes de fuite blanchies par le temps.
La luminosité s'estompe.
Des transparences naissent...

Ils sont là, à la recherche de l'impalpable.
Le regard fendu ils jaillissent des lignes brisées par les hallucinations.
Formes élaborées,
pommettes évidées,
fronts striés,
bouches rondes,
lèvres minces, épaisses ou larges, closes ou criardes...

Ils déplacent les comportements des vivants dans les territoires des
mystères...
Ils transportent les morts dans des paysages qui coupent le souffle :
Soupirs définitifs...
Leurs lunes ovales s'entrecroisent dans des mouvements rythmés par la
voix vibrante et profonde de monstrueux tambours ventrus.
Ils s'enfoncent dans l'horizon des ancêtres enfouis dans une forêt de
coutumes.
En foule, ils s'ébranlent agitant des étoffes tumultueuses qui claquent
dans l'air.
Ils se noient dans les profondeurs des terres recouvertes de pierres
lourdement dressées dans des perspectives perdues...

Un éclair traverse le ciel.
Un halo bleuté et orangé recouvre des cierges turquoise qui s'allument
dans une nuit naissante.
Le sol s'adoucit de vert.
L'ambiance tourne au violine.
Un film opalin défile entre les obstacles mystiques abandonnés par les
âmes errantes.
L'éther se dessèche.
Surgit d'un instant d'inattention, un monstre cornu dessine son image
terrible à travers les pans vitreux d'objets diaboliques.
Un courant d'agitation se propage en murmurant.
L'onde vibratoire brise l'illusion qui disparaît derrière les reliefs de
l'envoûtement.
Arrivant de nulle part, des animaux miniatures palabrent, ils pénètrent
dans le cercle des chuchotements. Colloque naturel d'un crépuscule en
développement.

J'ai cheminé dans ce mélange
de lumière et d'obscurité,
d'errance et de sûreté,
de présence et d'absence,
de sourdine et de silence.
et puis,
j'ai aperçu,
sortant de son cocon,
un grand et splendide PAPILLON.
Désireuse de poursuivre mon périple dans cet univers incongru,
afin de le chevaucher,
« dans mon rêve nocturne, mes mais empoignèrent ses ailes. »

 

"Contrée subtilisée" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Audacieuse comme un pissenlit au milieu des herbes,
solide tel le métal froid,
passionnée comme un animal réduit à sa seule jeunesse,
Maud parcourait la forêt,
le cœur serré – ou plutôt entaillé par l'épine du désespoir –,
chevauchant son grand bi, elle aspirait
à ce que les perspectives soient autres,
à ce que le paysage se redistribue,
à ce que les idées la reventilent,
à ce que des pétales lui repoussent.

Au milieu des râteaux, pioches, bêches, faux et fourches
dont les manches se prenaient pour des troncs d'arbres,
elle slalomait ainsi,
depuis des heures,
telle une mouche dans un bocal de verre, format verre à moutarde…

Son cerveau fulminait.

Sa contrariété prenait l'allure d'un flageolet germé en mille serpentins géants ;
l'envahissement se poursuivait,
la remplissait,
l'achevait.

Maud n'avait qu'un seul défaut :
elle était trop mûre, trop sage :
une âme de paladin réincarné.

Et il n'y a pas meilleur terreau pour faire grandir ses contrariétés ! L'horreur.

Dans la ville,
l'homme à la tête d'ours,
le chien-singe
et la femme au manteau de blaireau
s'étaient querellés.

Un cataclysme.

Le volcan des méchancetés était en éruption.
Sa lave brûlait tout sur son passage.

La paysanne-libellule, d'habitude dorée, était noircie, calcinée.
Grenouille-le-maire s'était, lui, retrouvé les pattes collées au sol, comme sucées par leur déshydratation.
Les frères Cormoran, eux qui étaient réputés pour leurs yeux brillants comme des groseilles, étaient désormais enfermés derrière un regard de petits pois, peau épaisse.
Jeanne-la-belette avait déménagé, on subodorait que, par politesse, elle n'avait fait que déplacer son suicide…
Le malheur sortait de son nid,
avait cassé sa coquille,
n'était plus sous sa couveuse que constituait jusqu'à aujourd'hui la civilisation.
Le chaos prenait son envol,
allait faire de l'ombre à la Terre.

Maud était habillée comme une motarde.
Des gants brodés avec du fil de lierre ornaient joliment ses mains.
Pour bottes, elle avait enfilé deux sabots de gazelle,
et elle pédalait ainsi, sur son grand bi
comme un écureuil tournerait les aiguilles d'un coucou détraqué.

L'inquiétude qu'entretenait le fait qu'elle n'ait encore en rien agi contre cette désolation galopante la dégorgeait de son sang.
Un teint mauve colonisait son derme.
Sur son passage, les fleurs se courbaient d'anxiété. Surtout les primevères, les quelques survivantes.

Être au milieu d'une jungle d'outils fit son chemin.

Ce que main ne peut faire, cerveau et langue y sursoient.

« Je vais aller leur parler, à tous,
discourir pour ne plus cavaler ! » s'asséna-t-elle.

Elle choisit de se rendre sur la Montagne-à-l'orange pour déclamer.
Ce mont surplombait la ville d'une avantageuse façon.
Enroulant ses lèvres comme un entonnoir,
elle proféra, proféra, proféra tant et si bien ce qui lui venait du cœur,
du cœur de son âme,
de l'âme de la Terre
qu'un silence de cachot s'abattit sur la région.

Maud-le-couvercle avait agi.

Dans le discours mis en partage perlaient encore quelques idées, quelques pépites de sagesse
mais sonnaient encore et surtout quelques mots aussi réprobateurs que des faux
qu'un soleil malin aurait transformé en sourire étincelant de perversité.

L'harmonie sur Terre est affaire de dosage,
et Maud avait failli en subtilité.

La jeune guerrière avait accouché d'un pouvoir insoupçonné
sauf que son poids s'était révélé monstrueux.

Comme un vent glacé avait mutilé chaque être de la contrée.

À commencer par le trois trublions :
l'homme à la tête d'ours, le chien-singe et la femme au manteau de blaireau furent submergés par une honte
qui les avait poussés à se cacher
dans des fûts de chênes,
là où le moût commençait à les corroder sévèrement,
à ce stade on dirait même « démembrer » !
La paysanne-libellule passa de « noircie » à recuite.
Les pattes déshydratées de Grenouille-le-Maire se cassèrent comme des allumettes sous un pilon.
Les petits pois oculaires des frères Cormoran grossirent comme des boulets.
Jeanne-la-belette ne réapparut pas, sauf sur un avis de décès.

Au sommet de la Montagne-à-l'orange, Maud pleura tous les saphirs de son corps.
Elle fut la source d'une rivière intarissable
que l'on visite encore aujourd'hui,
à sept kilomètres au sud-est de Périgueux.

Elle enfourcha son grand bi
comme on agrippe l'espoir,
les mâchoires résolues,
les pieds dilatés comme des ressorts.

Son idée était de rejoindre Grain-de-nuage,
le seul arbre qui avait la tête en bas ;
il était aussi le plus grand des arbres
puisque ses pieds dépassaient en hauteur le point culminant de la Montagne-à-l'orange, plus haut sommet de la région.

Ses ramifications comme des racines
présentaient une géométrie magique.
Les deux branches maîtresses avaient poussé dans la même direction et à l'horizontal
si bien qu'elles formaient deux lits superposés.
Maud se coucha sur la plus basse.
À peine eut-elle la tête en contact avec son oreiller de lichen
que la nuit enveloppa la contrée.
Quand elle eut les yeux mi-clos par ses rêves
qui adorent,
à ce qu'on dit,
tirer le rideau de nos paupières
avant de projeter leurs films délirants,
les gants de Maud se défirent de ses mains
comme une trompette fuirait la bouche qui l'épouse,
et partirent,
telles des montgolfières au pays des idées en formation.

Maud vit ce cheminement
et se mit même
à songer qu'il s'agissait de ses propres mains qui venaient de se détacher,
à la recherche d'ailes de meilleurs augures,
quelque part au plus proche de la forge des Dieux.

La nuit la pétrit donc.

Le lendemain, son visage affichait le sourire des anges.
Ce faciès porteur de douceur lui ouvrit tous les chemins de la Grâce
au point où la région
reprit tous ses poumons.

À ceux qui lui demandaient son secret,
elle n'avait de cesse de répéter,
tel un prophète sur son mulet,
« c'est simplement que dans mon rêve nocturne,
mes mains empoignèrent ses ailes »,
il s'agissait
des ailes de l'humilité sous les traits de la bonté,
eut-on tous deviné !

 

"La différence en prise avec l’indifférence" de Christiane FAURIE


Du plus lointain de mes souvenirs, j’ai acquis la certitude qu’il y avait quelque chose d’indicible me concernant. Un secret, un voile posé sur mes yeux entre moi et le monde qui m’entoure.
J’étais dans l’incapacité de regarder avec ces yeux là, toucher avec ces mains là, respirer l’air que soufflaient mes poumons alors qu’eux expulsaient leur cri primal résonnant à travers l’univers pour annoncer leur arrivée sur terre.
Quelle place m’avait-on assignée moi qui pouvait approcher le soleil sans ressentir cette brûlure mortelle que craignait les humains ?
Aurais-je été brûlé jadis sur la place publique afin d’expier les fautes de mes semblables ?
Je n’en sais rien. Pas un mot ne retentit autour de moi ; pas un geste pour m’apporter un peu de cette chaleur qu’on dit humaine et propre à me faire adopter dans le monde civilisé.
J’avance à pas feutrés, inodore, incolore, alors que le feu crépite sous mes pieds, prêt à jaillir en un bouquet rouge et or grandiose sans que personne n’y prête la moindre attention.
On me dit insensible aux autres alors que je suis submergé par une vague d’émotion inexprimable, dévastatrice qu’il me faut réprimer à chaque instant craignant la démesure.
Je ressens plutôt que je n’exprime. Cela fait-il de moi un monstre ?
Aucun son ne jaillit de ma gorge déployée en une prière éternelle alors que la rumeur publique gronde, atteignant son paroxysme au soleil couchant et allant se noyant doucement dans la torpeur du crépuscule.
Je me baigne dans les eaux noires du bras de mer Tzanga les jours de brume alors qu’ils sont terrés au fonds de leurs abris, craignant l’imprégnation du malheur.
Ma peau entre en contact avec cette eau huileuse qui semble avoir englouti tant de secrets.
Elle m’accueille comme un frère revenant après moult combats.
Elle veut m’engloutir afin d’explorer ses fonds sombres.
Je les connais par cœur ces grottes, ces herbes folles abritant des générations de monstres marins, ces monts jonchés de tombes antiques.
Ils m’apaisent, je peux enfin faire taire ce tumulte et jouer avec cette faune sous marine si prompte à batifoler en tournant autour de moi.
Alors pourquoi cette solitude, cette incompréhension, cette peur que je lis dans leurs yeux alors qu’ils me croisent.
Je tends la main vers eux comme ils le pratiquent si souvent et je tente désespérément de reproduire ces sons chantants qu’ils profèrent mais leur peur redouble ; ils cherchent à présent une échappatoire alors que leurs jambes se dérobent.
Je me réfugie alors au fonds des bois de Guarana où vit Aliénor, ma Princesse. Elle a la peau si blanche et sa chevelure de feu rougeoie. Sa robe légère découvre, dans sa course, des chevilles si fines qu’on croirait une gazelle se dérobant aux crocs d’un lion carnassier.
J’observe chaque jour ses gestes, la musicalité de ses mots, l’éclat des ses rires qui résonnent à travers bois pour s’éteindre en gouttes de rosée.
Elle ne peut être qu’une incarnation divine.
Comment poserait-elle les yeux sur moi ; moi le diabolique, la vomissure des péchés de l’humanité ?
Pourtant chaque nuit, je suis son roi portant haut ma couronne,  ajustant mon pourpoint chargé d’or.
Mais chaque matin, je me réveille crotté jusqu’à mes cheveux hirsutes recouvrant ma maigre tête aux allures de vautour affamé.
Je l’attends, elle ne peut ignorer mon désarroi, ma quête de bonheur.
Je cherche depuis trop longtemps la clé de ce monde hostile, dussé-je en payer le prix fort !
Un jour, je le sais, je m’endormirai et dans ce rêve nocturne, mes mains empoigneront les ailes de l’ange qui me ramènera à ma vie d’avant, celle où je pouvais espérer un monde meilleur.

 

"L’Egarée" de Dominique DOUSSAUD

Lorsqu’elle franchit le seuil de ce petit monastère, Anna ne savait pas à quoi s’attendre mais le silence intense et réparateur l’enveloppa immédiatement. Les battements de son cœur se firent moins douloureux. La Mère Supérieure l’invita à la suivre sans un mot mais son regard profond et bienveillant la rassura. Personne ne viendrait la chercher ici. Arrivée devant la petite porte de la cellule qui lui était destinée elle ressentit le besoin de lui dire. «Je ne suis pas croyante ma mère »
« Peu importe ma fille, le Seigneur saura vous accueillir dans vos doutes. Seule ici l’exigence du silence doit être respectée »
De la petite fenêtre Anna put apercevoir un champ immense de lavandes en fleurs s’étirant jusqu’aux  confins de l’horizon. Sa gorge se serra à nouveau, le sang affluait sourdement à ses tempes. « je ne saurais rester ici plus longtemps, je me suis une nouvelle fois égarée. Comment ai-je pu imaginer supporter un seul instant le tête à tête avec la vacuité de mon être. »
Elle reconnut le goût amer de ses larmes qui jaillirent sans qu’elle ne puisse les retenir. D’où surgissait cette détresse profonde, froide, ce sentiment récurrent d’être seule au monde, sans valeur et sans but. Tout à coup le tintement cristallin d’une cloche lui rappela qu’ici la vie s’égrenait au rythme lent des offices. Combien de temps s’était écoulé depuis son arrivée ? Elle ressentit l’irrépressible envie de sortir. Elle ouvrit la porte et s’engagea dans ce long couloir sombre et glacial. Trouver le chemin de la chapelle et apprivoiser la présence de ces femmes étranges et apaisantes. Ecouter les mots récités mille fois sans en comprendre le sens, se laisser pénétrer par la douce quiétude du lieu et s’abandonner à la musicalité de ces psaumes. Anna s’endormit recroquevillée telle une poupée de chiffon adossée au confessionnal. Personne ne vint la réveiller ou s’enquérir de son état. Son visage témoignait d’une grande sérénité. Elle rêvait. Des anges l’entourait. Dans son rêve nocturne ses mains empoignèrent leurs ailes.

 

"Pharaon" de Janine NOWAK


Les artisans embaumeurs s’activaient avec vigilance, préparaient les vases canopes, les bains, les essences, les substances aromatiques, les onguents, l’encens.
Mêlée à la vapeur s’échappant de l’étuve et aux plantes se consumant dans le brasier, la fumée dégagée par les lampes, enveloppait d’une sorte de voile ces hommes à la tâche.
Un corps dénudé, reposait au centre de la pièce, étendu sur une table de dissection.
La cérémonie de momification allait commencer.
Composée d’un mélange d’instruments à vent et à percussion, une étrange musique se fit entendre dans le lointain
Puis, accompagnant la mélodie, des voix s’élevèrent, psalmodiant le texte sacré.
C’était le signal.
Les embaumeurs se retirèrent discrètement dans un coin de pénombre.
Un esclave souleva une tenture qui masquait une porte.
En procession, les prêtres, revêtus des tenues du rituel funéraire, pénétrèrent dans le local et encerclèrent le mort.
Un silence profond s’établit.
Le Grand Prêtre dressa soudain ses deux bras, haut vers le ciel et se mit à réciter les formules incantatoires, où se mêlaient apologie faite au défunt et adoration du Dieu Râ, le Dieu Soleil, le Dieu protecteur de la Haute Egypte.
La litanie fut longue.
Enfin, les religieux reculèrent, s’alignèrent le long des murs, croisèrent les bras sur leurs poitrines et se figèrent en une attitude recueillie.
Les embaumeurs purent se remettre à l’ouvrage.
Le corps fut éviscéré, puis plongé dans un liquide spécial ; ensuite vint le moment de l’utilisation des huiles végétales parfumées, des plantes broyées, les matières balsamiques…  Un fléau et un sceptre furent installés sous les bras serrés sur le torse. Pour finir, on l’emmaillota dans des mètres et des mètres de bandelettes de tissu de lin très fin.
Pendant ces préparatifs, les représentants du Culte étaient restés parfaitement immobiles, priant d’abord pour l’enveloppe charnelle, puis pour l’âme du défunt.
Le corps, à présent purifié, rendu divin par le cérémonial de momification, pourrait désormais reposer en paix pendant quelques semaines, avant de partir pour son long voyage.

Invisible, l’esprit de Pharaon planait au dessus du groupe. Il avait quitté la dépouille mortelle dès l’instant où le Grand Prêtre avait débuté sa prière.
Il avait suivi très attentivement toute la célébration, savourant les propos élogieux émis à son sujet.
Pharaon avait toujours été sensible à la flagornerie. Le Grand Prêtre, dans son homélie, avait tracé de lui un portrait plus que flatteur.
Quoi de plus normal : n’avait-il pas été un être d’exception ?
Un monarque n’a-t-il pas tous les droits ?
Un Pharaon est un Dieu vivant.
Ainsi donc, il avait agi avec sagesse en faisant empoisonner le prétendant au trône, son frère aîné qui était rustre, maladroit, ignare. Il était préférable que ce soit lui, AMENAKTHON 1er qui règne sur le peuple Egyptien.
Certains se sont étonnés que bien des gens de son entourage décèdent très vite après son avènement. Mais, n’est-il pas nécessaire de renouveler un personnel peu compétent et peu sûr ? Sa tranquillité personnelle et surtout l’avenir, la sauvegarde et la grandeur de son pays en dépendaient.
De même, pour tous ses sujets, naissant disgraciés, malformés, qui n’auraient été d’aucune utilité en ce bas monde. La charité exigeait que l’on mette tout de suite fin à leur triste existence.
Quant à sa première femme, jalouse et querelleuse, elle n’aurait pu lui faire que du tort.
Aussi, aujourd’hui, pouvait-il s’enorgueillir d’avoir été le souverain d’un peuple sain, fort, vaillant, ne renâclant pas au travail.
Oui, il était légitime qu’il soit fier de lui, et c’est la tête haute qu’il franchirait le fleuve sacré, pour rejoindre le « Pays du Repos Eternel », qui allait bientôt l’accueillir en son sein.
Perfectionniste, il avait veillé lui-même et depuis longtemps, à tous les préparatifs de ses futures funérailles.
Un trésor colossal, fabuleux le suivrait dans l’au-delà. De l’or, des pierres précieuses, des objets rares enrichis de joyaux, étaient en attente dans une chambre forte.
Il avait, de son vivant (Sacrilège ! S’était écrié un des Grands Prêtes, qui depuis avait bizarrement disparu) fait fabriquer son masque mortuaire, bien plus raffiné et oh combien plus riche que celui de Toutankhamon, son cousin, curieusement mort si prématurément, lui aussi.
Son sarcophage, conçu à son idée, était une pure merveille.
Il ne manquait plus que l’inscription qui n’allait pas tarder à être gravée à la feuille d’or.
Il avait longuement hésité avant de fixer son choix.
«  La mort frôlera de l’aile quiconque dérangera le Pharaon » ; c’était joli… mais hélas déjà utilisé, justement par son cousin, décidemment bien encombrant.
Le mot « aile » avait toutefois retenu son attention. Il devait employer ce terme. C’était intéressant, porteur.
Aile…aile… Après mûre réflexion, il avait enfin trouvé ; ce serait quelque chose qui ne séparerait pas le corps de son âme. Car pour atteindre l’immortalité, un défunt doit entrer intact dans la mort. L’âme s’envole, d’où le symbole des ailes ; et pour l’aspect physique, il avait songé aux mains, instruments indispensables à une vie harmonieuse et laborieuse.
La formule était née : « Dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent des ailes ». 

 

"Hawa-Annah" d'Ella KOZèS


Hawa, sortit d’un bond et s’immobilisa les sens aux aguets. Son cœur bat à la chamade. Elle a l’impression que les autres l’entendent. Elle réprime un mouvement pour éviter de faire du bruit. Ses jambes courtes tremblent. Le souffle du vent dans les feuilles la rassure.  Elle inspire profondément dans un silence habité. Instantanément elle retrouve son calme. Dans la nuit épaisse, Hawa se faufile. Prestement, elle attrape une branche qui traîne au sol. Elle avance sans un bruit dans l’ombre tant redoutée. Elle ne peut rester auprès des siens. Elle refuse la loi du Clan. Elle part avant d’être donnée aux forces nourricières de la déesse Gaha. D’un pas expert, elle se coule dans le champ de millet. Elle écoute la vie autour d’elle. Elle entend la vie en elle. Elle ramasse une poignée de graminées qu’elle plante dans ses cheveux de jais. Assise, Hawa s’enivre de cette odeur caractéristique des graines qui la tranquillise. Toujours en silence, elle se roule soudain sur les brins fragiles qui la griffent en pliant.   Elle commet ainsi l’ultime sacrilège en détruisant la source alimentaire du Clan pour marquer son refus. Puis, elle embrasse le sol dans une communion ardente avec Gaha, la toute puissante. Elle lui transmet son désir de continuer à vivre. Un rayon de lune se pose sur son jeune corps noir à peine vêtu. Il révèle des courbes gracieuses et félines. Apaisée, elle se relève et reprend son chemin à bonne allure. Il lui faut dépasser la colline avant le jour. Plus Hawa s’éloigne de son habitat d’origine, plus elle s’arrête pour sonder un environnement qu’elle ne connaît pas. La colline est encore loin quand elle perçoit un proche danger. Un animal la suit. Elle s’arrête. L’animal aussi. Elle se remet en marche. L’animal avance. Elle s’arrête à nouveau. L’animal cesse de bouger. Elle continue donc son chemin ainsi, s’assurant de n’être suivie que par un seul être vivant. Le voyage lui semble effroyablement long. Epuisée, elle grimpe dans un arbre pour se reposer. Elle se nourrit de baies fournies par cet hôte accueillant. Lorsqu’elle reprend son périple au petit jour, elle voit ce jeune loup tout fou qui semble lui montrer la direction. A son tour de le suivre.  Rassurée, elle court derrière ce petit loup inoffensif pour ne pas le perdre de vue. Un souffle chaud s’abat soudain sur elle, tous crocs dehors. La louve lui a coupé son élan. Silencieusement et sans un geste, Hawa implore Gaha et lui rappelle son désir de vie. Au loin, des voix d’hommes dont elle ne comprend pas le langage rugueux. La louve plante ses yeux dans ceux d’Hawa qui ne cille pas malgré sa terreur.  Le louveteau vient flairer la jeune adolescente. Il lui lèche le visage avec frénésie. Sur une éructation masculine, la louve se retire dans une lente plainte.  Les hommes sont là, à quelques pas d’Hawa qui doucement s’est mise dans une attitude de soumission, sans quitter la louve des yeux. Ils rient, les armes de chasseur à la main. Le plus petit d’entre eux fait un signe à la jeune beauté tombée des cieux. Voyant qu’elle ne bouge pas, il rappelle la louve près de lui. L’adolescent l’invite à le suivre. Hawa comprend qu’elle vient de rencontrer les hommes qui parlent aux oreilles des animaux. Elle lui sourit. Le soleil illumine l’avenir.

Des millénaires plus tard, Hannah, s’essuie soigneusement les mains avant d’enfiler sa tenue de chercheur. Elle sourit en masquant son visage doré d’une blanche protection destinée à ne rien contaminer. Une charlotte enserre ses cheveux noirs. Ses yeux bleu clair, ne cachent pas sa satisfaction chaque jour renouvelée : elle appartient à l’équipe qui vient de mettre au point une technique permettant d’isoler les fragments d’ADN les plus petits, et ce quel que soit leur âge. Il s’agit d’une découverte capitale dans la compréhension de l’histoire migratoire des populations préhistoriques. L’informatique peut maintenant retrouver l’emplacement initial de chacun de ces fragments d’ADN et reconstituer le ruban complet, c’est-à-dire, la carte d’identité génétique. En réalité, les deux avancées jumelées annulent l’effet destructeur du temps. Maintenant, l’ADN d’ossements vieux de plusieurs dizaines de millénaires est lisible. Hannah se sent reliée au monde, et plus particulièrement à ceux qui l’ont précédée. Hier matin, en prenant son breakfast composé de thé et de céréales, elle a été saisie d’un frisson devant les derniers résultats de l’équipe finlandaise. Il s’agissait d’une prépublication officielle. Ils annonçaient que soixante-dix pour cent de l’ADN des mitochondries d’une  population vivant au Nord des Etats Unis, il y a dix-sept mille ans, étaient composés d’agriculteurs ayant domestiqué le millet. Hannah n’oubliera jamais le vertige qui s’est emparée d’elle en regardant son bol de céréales pour y trouver du millet. Cette plante fait toujours partie de l’alimentation de base des indiens d’Amérique. Hannah connait son appartenance au monde amérindien qu’elle doit à son aïeule Hapa. En effet, la légende familiale dit que pour échapper à un mariage arrangé entre deux tribus, Hapa s’est sauvée dans les bras d’un cow-boy. 
L’ADN des mitochondries correspond au patrimoine génétique transmis par la mère exclusivement. Les agriculteurs pourraient-ils être des agricultrices ? L’étude finlandaise ne tire pas cette conclusion. Il est vrai que la récolte nourrissait tout le monde sans distinction de sexe. Hannah voit bien une organisation clanique se profiler ainsi : les femmes aux champs et à l’élevage des nourrissons ; les hommes, plus forts, à la chasse avec les animaux domestiqués progressivement pour rabattre le gibier. Elle secoue la tête pour se concentrer. Elle doit sa vocation scientifique à une curiosité sans limite et à cette imagination intempestive qui la fait aller toujours plus loin. Elle aurait voulu tout savoir sur cette chaîne humaine qui l’attache définitivement à cette terre nourricière. Interviewée pour une émission de télévision bien connue destinée aux jeunes, sur sa vocation pour la science, elle a répondu : « J’ai toujours rêvé de raconter la magnifique histoire de l’Homme. Comment vivaient nos aïeux il y a huit mille ou seize mille ans ? Et vous savez, l’imaginaire est le plus puissant des moteurs. J’ai enfourché mon rêve un peu comme une Harley Davidson … alors, « dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent ses ailes » ».


"Recherche" de Nadine CHEVALLIER



C'est pas drôle quand on connait déjà la fin !
"Dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent ses ailes"
...
Non ! Rassurez-vous, ce n'est pas déjà fini, ce n'est que le commencement de l'aventure que nous vivons ensemble ici et maintenant.
Asseyez-vous confortablement, calez bien votre dos sur votre chaise, là, pas trop en arrière, ne basculez pas le bassin, vous devez être à l'aise, la position ne doit pas occasionner de douleurs...
Vous êtes prêts ? Bien, bien...
Partons ensemble.
Je vous emporte loin dans les nuées, très haut au-dessus des montagnes. Des vapeurs mauves et bleues se déroulent autour de nous sur de douces brises. Des étoiles d'argent s'allument à notre approche. Nous flottons, bras  ouverts, comme des condors, vers ce soleil rouge, là haut. Le voyez-vous ?
Il ne faut pas s'en approcher ! Il nous brûlerait les ailes. Nous serions détruits par sa puissance formidable...
C'est là que vous souhaitez aller pourtant ?
Vous connaissez les risques ! ... Vous insistez ?
...
Il disparait et me laisse seule face l'évidente brûlure, je tombe tout droit, repliant mes ailes blessées. Je crie en touchant brutalement un sol de plastique noir et me réveille sur ma chaise devant cette immense plage blanche où la marée n'a pas encore déposé ses coquillages de mots.

Et pourtant, on connait déjà la fin, me dis-je. Mais une fin sans commencement est-elle une fin ? N'est -ce pas plutôt un début ?
Ou alors, un milieu ?
"Dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent ses ailes".
Vais-je sacrifier ce coq ? Lui faire une fin pour calmer ma faim de mots ?
J'empoigne ses ailes et le lève doucement devant mes yeux.
Et me revient en mémoire ce conte d'Asie où le sage demande à ses trois disciples de tuer chacun un coq, l'épreuve étant que personne ne doit les voir. Les deux premiers réussissent sans souci en se cachant dans une forêt, en s'éloignant dans un désert. Le troisième, où qu'il aille, forêt, désert, immensité vide de la mer, ne peut s'y résoudre. Il ramène son coq vivant en expliquant à son maître  " Je n'ai pas pu le tuer. Où que j'aille, le coq me regardait toujours"
Et ce coq me regarde et je  lâche ses ailes et le laisse retourner dans tableau où il restera vivant pour l'éternité.

Et voilà ma faim toujours insatisfaite.
Eh ! Toi ! L'ange qui a aussi des ailes, toi ! L'ange du tableau, es-tu là ? Me conduirais-tu sans dommage  au soleil rouge de la connaissance ?
"Non, me répond-il, je suis comme toi, incomplet."
"Je connais la puissance divine mais de l'homme, je ne sais que la fin. La condition humaine n'est pas à ma portée. C'est en toi que tu as les réponses..."

Alors, tournant le dos au tableau, je décide de poser ces mots sur le papier :
C'est pas drôle quand on, connait déjà la fin !
"Dans mon rêve nocturne, mes mains empoignèrent ses ailes"

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture