SAMEDI 13 octobre 2007
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" D'espérance en expériences"

Animation : Régis MOULU

 

Thème : Tout dans le même sens !
Cette séance va nous permmetre de nous en remettre à nos sens en privilégiant un d'entre eux : le toucher, ou l'ouïe, ou l'odorat ou même la vue.
Notre vocabulaire employé sera donc choisi et au service de ce parti pris…

L'animateur présentera lors de l'ouverture de la séance le thème autour duquel chacun écrira (sujet commun).

ex : si vous avez choisi le toucher (sensibilité physique), votre texte comprendra autant que possible des mots comme "sensation", "sculpter", "froid", "force", "plonger", "lourd", "dur"…

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support avec notamment des listes de mots pour le toucher, l'ouïe, etc.. ont été distribuées ! Trop cool, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la
séance, notamment (dans l'ordre):

- "Au pays des cinq sens" de Janine BERNARD

L'espion qui voyait tout... du moins, c'est ce qu'il croyait" de Céline CORNAYRE

- "Sixième sensation" de SCRIBUS

- "Ceci est une histoire vue !" d'Aurélie BOCCARA

- "Une escapade insensée d'un sens à l'autre" de Marie-Odile GUIGNON

 

"Au pays des cinq sens" de Janine BERNARD

On descend à l'immeuble des cinq sens par un petit chemin bordé de sensations.
Les sensations sont des petites fleurs boutonneuses, ovales et transparentes qui poussent sur le terreau du corps fort réputé pour la richesse de sa composition.

Elles prolifèrent à hauteur du promeneur qui, descendant le dit chemin, se fera un plaisir de les frôler, les toucher, et les écraser juste pour ressentir sous ses doigts intrigués, le velours humide et chaud qui reste à la peau après le geste.

L'immeuble des cinq sens est une façade où le promeneur se heurte, frontalement, à cinq sonnettes alignées verticalement. Cinq sonnettes, cinq étages. Deux noms féminins, trois masculins. Chacun a son étage respectif.
Afin de ménager toute susceptibilité, les étages ont été attribués par ordre alphabétique.
Ainsi chaque mot, chaque nom, a tout son sens et chacun peut rester neutre comparé aux autres.
C'est une formalité, mais elle prend tout son sens lorsque l'on se penche sur le caractère de chacun d'eux.

Prenons le rez-de-chaussée. Résidence de l'aîné, du premier né, du plus ancien ; le plus âgé, mais le plus tenace : le goût.
Il n'a pas d'odeur, pas d'image, pas de son. C'est un mot masculin, riche en bouche, goûteux à loisirs et gourmet en diable. Glacé ou chaud, bien assis sur ses bouches d'air, d'eau ou d'égout, il est le point de passage de tout l'immeuble.
D'ailleurs, l'immeuble n'a pas de rez-de- chaussée, il a un rez en bouche. Chez lui, tout est bouche. Il a facilement l'eau à la bouche, la parole acide et l'amertume aux lèvres. C'est un " soupe au lait ", du nom du premier aliment ingurgité goulûment à sa première heure.
L'immeuble l'évite le plus possible mais passe devant sa bouche à chaque montée et descente. Son rez en bouche tient chacun en haleine car comment se passer de sa présence pour accéder aux étages ? Un dilemme.

A l'étage suivant, c'est le plus subtil, le terriblement pauvre en mots, le plus délicat et peut être le plus fragile.
Tous dans l'immeuble le ménage. Même s'il est encore célibataire. Car comment convoler en justes noces avec autant d'odeurs ? Qu'elles soient chatoyantes, ou effluves, qui vous passent sous le nez, l'odorat fourre son nez de partout et forcément pique du nez. Creux, le sien, ne l'empêche pas de tirer les vers de celui qui vient frapper à sa porte. Une peste, l'odorat, dont tout l'immeuble se méfie et passe en courant devant sa porte, de peur de l'entendre renifler une odeur suspecte.

Surtout la voisine du dessus. On entend claquer ses talons à tous les étages. Mademoiselle Ouïe. Prénom : Bénie. Etat civil qu'elle délivre en minaudant : " Bénie, Bénie Ouïe Ouïe ".
Si fine et si précieuse que les quatre autres s'en gaussent à qui mieux mieux. Dure d'oreille pourtant et de notoriété pas prêteuse, un boucan l'anéantit et un murmure la requinque en quelques notes ou syllabes. Et la voilà pimpante comme disent les autres, prête à tous les glous glous, tic tacs ou pimpons du monde.
Il faut l'entendre minauder : " Je suis toute Ouïe ! " Et les autres de répliquer : " Mais Ouïe, mais Ouïe ! ". Une vraie complainte.
La vaniteuse de l'immeuble, la prétentieuse de service. Les autres la détestent. Le toucher irait bien pourtant palper sous sa robe qu'on dit " tympante " dans l'immeuble, et même l'odorat, pourtant subtil, irait bien y fourrer son gros nez qu'on dit si délicat.
Mais le fantasme reste intact car aucun d'eux ne l'a jamais vraiment fréquentée. Elle garde tout son mystère, recluse à son troisième étage, à prêter l'oreille au moindre frémissement de l'un ou geste de l'autre. Elle est comme ça Bénie. C'est une secrète. Internée dans différentes chambres ou couloirs d'une oreille interne ou externe, elle ne sait plus très bien.

Au quatrième, un gros dur. Un malabar. Une boule de muscle sous une grosse couche de peau.
Toujours prêt à donner un coup de main ou un coup de poing aux voisins. La main sur le cœur en permanence, mais qu'il vous effleure, qu'il vous chatouille ou vous cogne, sa dangerosité est dans son imprévisibilité. Il peut battre ou caresser, faire main basse ou ne pas y aller de main morte. Son étage est tapissé de poils et plumes. Il a la peau dure et le verbe haut. Il est le seul de l'immeuble à posséder un verbe encore utilisé.
La mijaurée du dessous a perdu le sien depuis longtemps, ce qui fait jubiler le gros.
" Toucher existe encore, Ouïr, plus du tout ! ". Il hurle à réveiller un mort quand elle est trop bruyante la petite du dessous.
Toujours prêt à tripoter, à tâtonner, à palper, à tâter, en cas de bobo on vient le trouver.
C'est le kiné du quatrième. Il fait un peu peur mais quand on a besoin de lui, on pousse sa porte, la main tendue et en général, il est là.

Enfin la dernière, la plus haute, celle qui a fait des pieds et des mains pour accéder à l'étage le plus lumineux. Tout en haut, les yeux grands ouverts sur l'avenir, insomniaque à n'en plus fermer l'œil de la nuit, qu'elle vous jette un coup d'œil ou qu'elle entre chez vous, elle n'a pas froid aux yeux ; ni ses yeux dans ses poches.
La vue est hardie et curieuse, elle tient lieu de concierge et de vigie à tout l'immeuble.
Elle aperçoit, observe et lorgne à merveille. Vaniteuse, ses images, ses formes et ses couleurs sautent aux yeux dès le premier regard.
Elle a même pris l'habitude de décorer son étage à son image, ce qui met les quatre autres dans tous leurs états.
C'est une " m'as-tu vue " qui, pourtant renseigne la maisonnée quand il faut.

Ainsi vont les habitants
De ce petit immeuble
Au bout de cette allée,
Où les sensations vivent
Si souvent oubliées.

A qui découvre ce chemin
Sautera aux yeux
L'image de ces hôtes
Un peu particuliers.

Et vous aurez le nez
Aussi fin que l'oreille
Du moins je vous le conseille !
Car sans arrière goût
Donc sans arrière-pensée
Vous toucherez du doigt
Les plaisirs de la vie
Que sont nos sens cachés
Peut-être à découvrir ?
Ou bien à rechercher ?
Avec autant de plaisir
Que j'ai pu vous décrire
Tout ce que vous lisez !!!

 

"L'espion qui voyait tout... du moins, c'est ce qu'il croyait" de Céline CORNAYRE

Il était éblouissant et savait mieux que quiconque séduire la gente féminine. Lady Diana l'idolâtrait, le Prince Charles le détestait cordialement (évidemment) ; sa Majesté ne voyait que par lui tandis que les services secrets britanniques et d'ailleurs se l'arrachaient. Tony Blair lui-même avait pour habitude de dire qu'il tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux.

Ses ennemis, et ils étaient nombreux, avaient pour ordre de tirer à vue sur lui, mais lui restait imperturbable, face aux balles, aux poignards, à la corde, et même au chandelier. Seule la vue des femmes, et pas n'importe lesquelles, surtout les James Bond Girls comme on les imagine, semblait à même de lui faire payer les yeux de la tête, pardon de sa tête. Toutes ces divines espionnes le savaient bien, mais jusqu'ici, aucune d'entre elles n'était arrivée à ses fins. Le regard de notre célébrissime espion était si pénétrant qu'elles fondaient littéralement toutes les unes derrière les autres comme des icebergs un peu trop soumis aux caprices des changements climatiques.

Un beau jour, notre splendissime espion se vit convoqué pour une mission un peu spéciale qui nécessitait à la fois prévoyance et clairvoyance. Notre super héros ne pouvait refuser une telle offre, en apparence si parfaite et si facile pour lui. Sans entrer trop dans les détails, il s'agissait de déjouer les plans diaboliques de Mister Dee consistant à jeter de la poudre aux yeux sur la City londonienne pour mieux s'emparer de la Tamise. Et Londres sans la Tamise ressemblerait à Paris sans sa Tour Eiffel ou New York sans ses tours jumelles…
Notre espion devait donc sauver le reflet de sa ville, et par extension, de sa nation, tout cela évidemment dans un délai ne dépassant pas 48 heures.

Dans les premières heures, notre espion d'exception crût à une apparition. Il n'avait pourtant consommé aucune substance hallucinogène ; mais alors, ce ne pouvait qu'être elle, celle qu'il voyait partout et nulle part, celle qu'il guettait depuis si longtemps, et le moment semblait enfin arrivé !
La Tamise sembla alors fort compromise car pour une fois, notre espion n'avait plus d'espion que le nom. Il n'était plus lui-même. Son regard était celui de l'amour et l'amour rend aveugle, tout le monde le dit, tout le monde le sait, et lui l'avait bel et bien à cet instant précis, totalement oublié. Lové dans les bras de sa bien aimée, il ne voyait plus qu'une chose, l'amour que lui renvoyaient les deux yeux les plus doux et les plus chaleureux de la planète. A cet instant précis c'est sûr, la Tamise était déjà virtuellement rayée de la carte.

La bien aimée en question était une professionnelle comme il n'est plus possible aujourd'hui d'en voir depuis la chute du rideau de fer. Elle était chargée de la mission " saupoudrage " voulue par son patron, le sinistre Mister Dee. Et son parcours était jusqu'à présent un sans faute.

En pleine lecture théorique et pratique du Kama-Sutra, notre espion si bien accompagné s'en donnait à cœur joie. A la position numéro 12, il eût cependant comme une vision, presque un éclair de lucidité. Pris d'un soudain remords pour la Tamise dans laquelle il ne pourrait plus jamais se baigner, le voici partit dans une explication alambiquée fournie à une partenaire, certes échevelée, mais pas décérébrée. Celle-ci vit alors que son affaire commençait à sentir le roussi. Elle tenta évidemment de le ramener à la position numéro 13 mais, peine perdue, notre espion avait déjà remis son pantalon. Un dernier coup d'œil à sa dulcinée fût jeté avant qu'il ne se rende compte qu'il ne lui restait plus que 8 heures pour accomplir sa mission. " Quatre yeux valent mieux que deux " lui dit-elle en lui emboîtant le pas fiça.

Notre espion national et son espionne attitrée finirent par retrouver la cachette secrète de Mister Dee. Celui-ci était visiblement surexcité et dans la complète illusion de sa victoire totale et inéluctable. La charmante demoiselle devait servir d'ultime recours, ce serait elle où la Tamise…. La larme à l'œil et le regard éteint, notre espion ne pourrait alors faire autrement que céder et perdre.

Sa vue ne le sauva pas c'est certain, mais c'est alors que les quatre autres sens de notre espion favori prirent le relais du cinquième défaillant. Ce fût à la fois magnifique et surprenant. L'ouie lui permis d'entendre l'infime sifflement de la machine à vider la Tamise, le toucher lui permis de détecter comment l'arrêter, l'odorat lui fit sentir que quelque chose ne collait pas chez son adorée (elle sentait la traîtrise), et le goût lui donna le courage de s'en débarrasser car elle avait vraiment mauvaise haleine.



"Sixième sensation" de SCRIBUS

Athènes croulait sous une température quotidienne proche de 40°. L'avenue Xénopoulos suait et scintillait et l'acropole au loin, tremblait comme un fantôme évanescent. Les rues étaient vides, les ventilateurs fatigués ronflaient frénétiquement. Quelques corps déambulaient douloureusement, s'allongeant dès que possible, abattus par une sorte de chape invisible qui finirait par venir à bout de leur force.
Chacun était à l'affût d'un peu de fraîcheur. Sur les toits le soir, on guettait la brise légère, orientant son visage et son cou fiévreux au caprice d'un vent furtif, juste pour quelques minutes de plaisir éphémère, en quête de la sensation intense que peut être la fraîcheur quand elle est devenue si rare.
Andréas vivait depuis 70 ans dans cette ville aimée qu'il ne pourrait jamais quitter. Mais son corps était usé, pesant, labouré par les années et ce changement climatique irréversible.
Cette nuit sans sommeil, sur le toit de sa maison qui surplombait la vieille Athènes, il avait pensé. La lune, pleine, avait éclairé son esprit.
Ce matin, sa décision était prise. Il prendrait un aller sans retour sur Chronos.
Andréas avait toujours refusé de quitter le navire comme tant d'autres l'avaient fait, mais il n'en pouvait plus de son époque, de la modernité qui n'en finissait pas d'aliéner l'homme. Chronos était l'invention la plus extraordinaire de ce 23ème siècle. Elle permettait, moyennant un budget certain, de s'expatrier dans le temps, comme au siècle dernier d'autres s'en allaient à la découverte du système solaire.

Andréas était assis dans une cabine étroite, attendant le départ, paisiblement. Il avait déposé l'ensemble de ses économies sur le comptoir rutilant de l'agence de voyage.
Les murs couverts de glaces, lui donnaient une sensation de vertige, le vertige du départ, du saut dans le vide, une espèce d'euphorie qui était étrangement agréable.
Cette cabine de propulsion était un dispositif savamment élaboré, sas entre des mondes, des espaces temps.
L'ordinateur de bord rappela la destination : espaces polaires, terres arctiques, 21ème siècle. Andréas pressa l'écran pour valider. L'habitacle commença à vibrer, à modifier son orientation, à fraîchir, à tiédir. Des larmes, des frissons, des éclairs dans les yeux, la peur, des flashs thermiques, la transe, la joie traversèrent Andréas.
La porte du sas s'ouvrit.

Andréas ouvrit les yeux, les referma et se laissa envahir par une sensation intense qui le transperça de la nuque aux pieds. Une caresse fraîche le parcourait, absorbant en lui comme un trop plein de chaleur accumulé. Il soupirait d'aise, de plaisir, aspirait l'air comme pour mieux s'en imprégner. Il sortit de la cabine, laissant derrière lui tout ce qu'avait été sa vie. Un continent lumineux et ouaté était là à ses pieds. La glace crissait sous ses pas, et crépitait. La terre immaculée comme au premier jour de la création prenait l'empreinte de son passage. Le vent sifflait, venant du bout du monde et partant on ne sait où, sans limite, sans rien pour l'arrêter. Ses yeux regardaient jusqu'aux confins de la terre, regard vers l'infini, aucune aspérité qui accroche. Le blanc arctique gelé, intensément blanc, presque trop pur, intensité de cette non couleur. Lumière rasante du pôle, transparence, lumière chaude et saisissante.
Les sens n'avaient aucun répit. L'esprit était convoqué, par l'exacerbation des sensations, à une ouverture jamais rencontrée jusque-là. Une conscience absolue de la réalité du monde, de l'énergie de la terre, de la vie sous tous ses aspects émergeait au-delà des sens. La Connaissance absolue.

Dans sa quête de la fraîcheur, Andréas avait eu la révélation que peu d'entre nous connaîtront, celle de la sixième sensation, celle qui est au-delà des sens et du tangible, celle qui mène à la connaissance de la vérité ultime.

 

"Ceci est une histoire vue !" d'Aurélie BOCCARA

Il y a environ un an, j'étais devant mon ordinateur, on va dire à flâner, bon j'avoue, j'essayais désespérément de trouver l'âme sœur sur un site de rencontres, que tout le monde connaît et dont je tairais le nom. Eh oui, moi, Aurélie Boccara, j'ai fait ça ! Oh ça va ! Personne n'est parfait. Comme si j'étais la seule, moi au moins j'ai l'honnêteté de le dire. Bon là n'est pas le sujet !!!!!!!!!!
J'étais donc devant mon ordinateur, quand suite à une inscription au site "copainsdavant", s'occupant de rechercher suivant votre parcours scolaire vos amis d'antan, on me signale que j'ai retrouvé un copain : Yves C. J'étais plutôt contente. Je me mets donc en relation avec la personne. Je me rappelais de la personne, qu'on était au collège ensemble, mais vu l'état de ma mémoire, c'est à dire plutôt défaillante, rien de plus. Yves C. me dit assez vit qu'il est non-voyant et là tout s'éclaire, c'est le cas de le dire, je me rappelle très bien de lui.

Ensemble en classe de troisième, il avait une sorte de machine à écrire en braille qui lui permettait de retranscrire les cours. Machine qui il est vrai faisait beaucoup de bruit, au grand damne des autres élèves qui ne se gênaient pas pour le faire remarquer à Yves C. Il me rappelle qu'à la récréation je restais toujours avec lui, pour discuter, pour l'aider… mon côté sœur Emmanuelle sans doute.

Yves C. me fait comprendre que des anciens de l'école, je suis la seule à lui avoir répondu présent. Sans doute, les autres se sont-ils rappelés son handicap (contrairement à moi) et n'ont-ils pas voulu le "revoir". Cruels enfants ; et presque 20 ans plus tard : cruels adultes. Quelles morale inculquent-ils à leurs enfants s'ils en ont ? Mais je m'éloigne….

Yves C. est non-voyant, mais (je ne sais pas quelle locution utiliser) vis de façon autonome avec son chien guide dans son appartement, a du travail, joue du piano dans un groupe de musique et en plus est bénévole à la Croix Rouge. Il m'a dit qu'il avait "vu" Adriana Karembeu, la marraine de cette association.
Je ne fais pas la moitié, ni le quart de ce que fait Yves C et je trouve cette personne admirable. C'est à des personnes comme cela qu'on devrait remettre la Légion d'Honneur.
Cette année, au moment des élections , Yves C. m'a proposé de quêter (c'est le mot adéquat) pour la Croix Rouge et j'ai bien sûr tout de suite accepté.
On était en binôme : il y avait donc Yves C. et moi et nous étions à l'entrée d'une école profitant ainsi des allées et venues des personnes allant voter. Chaque fois qu'il y avait un personne qui s'avançait vers moi et qu'Yves C. ne voyait pas bien sûr je lui disais : donnez au monsieur et on donnait à Yves C.

Cette solitude qui se lisait sur son visage m'attristait. Je sais que c'est une personne volontaire, battante, pleine d'énergie mais aussi terriblement seule. Je pense qu'il "tient à moi"…

Ce que je vais vous dire va sans doute vous paraître futile, bête, absurde, quoiqu'il en soit…. Le seul sens que pour rien au monde je ne voudrais perdre est la VUE :
Comment ne pas voir son enfant naître, grandir, se développer ?
Comment ne pas voir un coucher de soleil dans les plaines du Névada ?
Comment ne pas pouvoir grimper ou descendre à bicyclette la muraille de Chine ?...

Quel respect pour toutes ces personnes à qui il manque un sens parfois plusieurs, même si c'est plus rare !!!!!!!!

Qu'est-ce-qui est le plus difficile : naître avec un sens en moins ou naître (on va dire normalement) et puis au cours de sa vie, malheureusement perdre un sens ? Terrible comme question non ?

Je crois que concernant la vue par exemple : je préfèrerais savoir ce qu'est une fleur, un bateau, un coucher de soleil, …ainsi si je perdais la vue je pourrais me les imaginer, ce qui est bien sûr impossible si je naissais non-voyante.
Mais on dit et je pense que c'est vrai que les personnes non-voyantes de naissance, c'est le cas de Yves C. se débrouillent tout petits très vite tout seuls et deviennent très vite autonome ce qui est beaucoup plus difficile lorsque l'on devient non-voyant.

 

"Une escapade insensée d'un sens à l'autre" de Marie-Odile GUIGNON

Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit.

Elle était là, debout, émergeant de cette tempête, mince silhouette se profilant devant l'obscurité de la profondeur épaisse des arbres.

Imperceptiblement son ombre s'éclaircit
contrastant avec l'environnement.

D'un geste léger elle glissa sa main
devant ses paupières closes, éleva les bras au-dessus de sa tête en dessinant le V de vue. Ses yeux s'illuminèrent et s'élargirent, de sa pupille jaillit un rayon étincelant qu'elle rompit d'un clignement de cils mais sans en perdre le contrôle. Rapidement, d'un mouvement de son corps souple, elle traça une arabesque. Alors, devant elle, l'étincelle géante se métamorphosa en arc-en-ciel telle une porte romane sans consistance.

Elle avait un compas dans l'œil !

D'un bond elle franchit l'espace et se
retrouva ailleurs.

La nuit clôtura l'arc, impossible de
jeter un coup d'œil en arrière…

Elle était entrée à l'œil, brillamment,
dans un autre monde et pas question d'avoir froid aux yeux, maintenant.

Sa joie explosa en feux d'artifice !
Ca et là des myriades de gouttes scintillantes se déposaient sur les flous vaporeux de petits nuages aériens. Elle se mit à batifoler de l'un à l'autre semant les nuances de ses pas.

Visiblement, elle avait bon pied bon
oeil, cela sautait aux yeux !

Elle gesticulait dans les reflets irisés, plongeait dans l'azur, émergeait des nues… Un festival bigarré envahissait l'espace qui se dilatait, l'entraînant dans une course folle d'où la perspective de l'infini se dépeignait.

Une nouvelle façon de voir se fixa dans
son regard. Elle devait changer de cadre, contraster son voyage.

Soudain, sa vue se glaça, elle ne pouvait plus fermer l'œil, quelqu'un l'épiait, l'observait… De son point de vue - … - A vue de nez - … De très, très près…Ha ! Là ! Comme dans un miroir ! Le reflet sautait aux yeux !

Informe, immatériel, il surgit en un clin d'œil !

Devait-elle se mettre le doigt dans
l'œil ? … pour retrouver ses esprits ?

Elle le regarda les yeux ronds :

Hors de sa chrysalide, il se révéla
splendide et éblouissant…

Subtilement il l'entraîna dans l'univers florissant de ses pastels en pétales, ensuite ils oscillèrent dans les brumes nacrées des aurores naissantes, s'enfoncèrent à l'intérieure des effluves rougeoyantes des milles soleils, émergèrent des crépuscules nuancés, ils se fondirent dans les couleurs du temps, s'assoupirent à l'ombre des marines océanes.

Les paupières closes ils sombrèrent
emportés par un sommeil de plomb….

Elle était là, fondue, étendue,
terrassée, paralysée par l'obscurité de ses pensées. Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir….

Eperdue, abandonnée, échouée… Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois… Il lui fallait ouvrir l'œil et le bon.
Elle avait reçu de la poudre aux Yeux. Elle tenait à sa vie comme à la prunelle de ses yeux….

Avait-elle les yeux en face les
trous ? Elle réfléchit les yeux fermés.

Il ne s'agissait plus de laisser ses yeux dans sa poche même si elle avait un œil au beurre noir.

Des picotements étoilés envahirent son
corps distillant une tiède douceur pour dégourdir sa faiblesse.

Mine de rien, elle laissa la lumière
pénétrer jusqu'à sa rétine en décidant de voir les choses d'un bon œil et esquissa un sourire.

Elle se redressa.

D'un coup d'œil circulaire elle toisa l'atmosphère.

Les frondaisons des arbres oscillaient
leurs tons d'automne, le sol jonché de pépites d'ocres frémissait au souffle rafraîchi de la saison naissante, l'air exhalait des parfums humides.

Avait-elle piqué du nez ? Ou avait-elle eut le nez creux ?

Avec sa manie de fourrer son nez
partout !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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