SAMEDI 2 MAI 2009
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"L'espérance des expériences"

Animation : Régis MOULU

Auteure invitée :
Karine LEROY

Thème :

Quand le dessin transpire des mots

Le but est de se laisser porter par le support sur lequel on écrit ! Le sujet et l'écriture elle-même seront produits en réaction à ce que la feuille nous inspire.
A chacun seront alors distribuées des feuilles grand format sur lesquelles des dessins souvent réduits à l'état de petites taches minimalistes apparaîtront. Autour d'elles (comme si elles étaient déjà des lettres) s'organiseront donc vos mots, vos phrases...

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué : il évoquait les manières d'avoir de l'imagination et présentait aussi quelques idées autour des travaux de Robert Racine et de ses pages-miroirs...

 


Suite à la présentation de 5 supports différents (au choix des participants, le même pouvant être repris... et chacune de ces feuilles pouvant initier une nouvelle histoire ou en poursuivre une seule)...

...ces textes, notamment, ont été produits
durant la
séance
(ce qui fait, dans l'ordre de présentation sur cette page web):


- "Fragments cosmo-telluriques" suivi de "Naufrage" et "Chhuutt" de SCRIBUS

- "La science des rencontres" suivi de "Arbres de plumes" et "L'opération décantation" et "Les humains sont des drôles d'oiseaux" de Régis MOULU

- "Métafiction" d'Angeline LAUNAY

- "Vénus ou les exigences de l'amour" suivi de "Ritournelle" de Karine LEROY

"Du Boris Vian...avant l'heure..." de Janine NOWAK



"Fragments cosmo-telluriques" suivi de "Naufrage" et "Chhuutt" de SCRIBUS

Fragments cosmo-telluriques

Sur un banc.
Où ? quartier historique de Milan.
Quand ? demain.
Y'aura qui ? les mêmes.
C'est combien ? tu connais mon tarif.
Et cette fois-ci ? le 3è de la liste.
Le code ? opération pointillé.

Une certaine vision de la réalité qui vient percuter l'autre.
Il m'a dit : NON
Où je lui réponds, ou j'implose, ou je pars.
Mon regard peut se rétrécir ou au contraire le champ des possibles est ouvert sur l'INFINI.
L'Infini de la pensée, des choix, des réponses est devant moi.
Je lui réponds : Je comprends ton point de vue. Comment ne le comprendrais-je pas ?
Il a l'air…SOULAGE…ses yeux s'écarquillent, son regard revient vers moi.
Je poursuis : Je te comprends mais c'est impossible pour moi, c'est à toi de décider.
Le mot est lâché et s'envole tel un boomerang dans le cosmos.
Je pars…

Un regard allumé, incandescent et présent qui ne voit
Presque plus.
Des points, des formes et myriades de couleurs
Résonnent du monde.
La forme difforme est palpable par
Sa précipitation ou sa fluidité.
Les êtres sont beaux ou laids d'autre chose.
La vie est vibration.

Ciseler cette phrase de sorte que…
…chaque mot viendra percuter son esprit,
Lui transmettre l'indicible avec ces paillettes,
Ou reprendre l'écho du silence qui ne se trompe jamais.

Où sont allées les étincelles des regards éteints ?
La lumière incandescente du matin en a peut-être le secret
Où le labyrinthe du temps les a-t-il séquestrées ?
Où serait-ce au fond des âmes que l'alchimie est en panne…
Insaisissable étincelle qui part et qui revient !


Naufrage

Fait trop chaud soupira Mam Feuillantine
Pas un brin d'air et la tige est bien engourdie
Eh ! la tige, tu veux pas nous s'couer un peu ?
On se dessèche, nous autres, en bas !

J'peux rien faire sans vous
Penchez vos têtes à "3"
Envoyez d'la toile
Et j'oriente la mature

Un coup de vent soudain
Fit faillir la manœuvre
Et la tige ploya si bien
Que les feuilles en perdirent leur cœur


Chhuutt !

Charleston, chacha, la mouche trébuche, se cache sous le branchage,
Cherche à fuir, ses pattes chétives s'entrechoquent, elle choie,
Charivari dans sa tête !
Elle gesticule, chavire, cherchant une verticalité, échoue à nouveau,
Chimère de vouloir faire la belle devant le bourdon !
Changer de branche ou choisir la chute

 

"La science des rencontres" suivi de "Arbres de plumes" et "L'opération décantation" et "Les humains sont des drôles d'oiseaux" de Régis MOULU

La science des rencontres

On ne voit jamais tout,on a le slalom dans le sang.
J'aime regarder les poteaux, les lampadaires, les poubelles et toutes les autres lignes verticales. J'aime les lignes, ça me repose, ça me porte, ça me gribouille comme il faut. On manque toujours de balises, de bornes, de sous-objectifs et d'obstacles. Chaque obstacle est un repère. La vie à pleines dents, c'est une vie à pleine face. Tout nous heurtera un jour. La Terre tourne. A l'école, on devrait apprendre la science des rencontres, comme ça, on ferait moins les étonnés à chaque fois qu'on croise quelqu'un d'étrange, d'étranger, d'extraterrestre. Moi, j'ai un planning de satellite ; je tourne, je tourne, j'oublis d'atterrir, je vise la lune, j'ai des chaleurs, je sue des mains.
J'avance, je fais des trajectoires avec mon regard, je construis des droites et des parcours avec mes pieds, je multiplie les occasions de tous vous rencontrer. Nos sens, nos envies, nos itinérances laissent mille traces ici et là, tendent mille segments ici et ailleurs tant et si bien que passé et futur ne sont que grand jeu de mikados au présent.
Avec le temps, l'espace se resserre,
avec le temps, l'univers se rapproche
et hors du temps, nous assiégeons l'impossible pour qu'il nous rende une chance de rêver sans contrepartie.
Traceur à l'infini, je suis passé par là
et je repasserai par ici
plutôt le jour où
vous n'y serez pas.
car ceux qui stationnent prennent racines en s'offrant par là même l'occasion de tout voir tourner autour d'eux.

Arbres de plumes

Les arbres caressent carrément le ciel.
Et je te chatouille par ici !
Et je te bruisse quelque chose par là.
Comme un voile, les branches habillent le soleil, l'érotisent,
prétextent de le protéger du froid.

Avoir des feuilles, c'est avoir une sensibilité riche,
dynamique et passagère,
je te vois comme cela.

Le vert, c'est la couleur de la conquête,
de l'impatience et de l'audace.
on en a tous qui pousse
sur notre squelette de bois.

J'entends l'oiseau qui viendra,
il s'appelle l'espoir.
J'aimerais déjà sentir son poids,
rêver un temps que mes feuilles sont ses plumes,
que je parade, que je gazouille, que je flotte.

Les arbres sont des fontaines, le désir un écureuil,
on passe sa vie à se frôler, à se tresser,
à pousser toujours plus loin
nos mains pleines.

On sait tous fleurir, rien ne nous arrête,
pas même les saisons qui nous revigorent
et qui nous rappellent…

" Demain est un nouveau jour
où j'aimerais tendre vers toi. "


L'opération "décantation"

NE TIREZ PAS SUR MA VOLONTE, C'EST UNE PYRAMIDE,
j'ai mis des siècles à la monter ;
c'est une histoire de famille,
c'est compliqué,

PASSEZ VOTRE CHEMIN,
ET NE MARCHEZ PAS SUR MES MIRAGES
ou vous allez tâter de mon imagination.
Abracadacrasse !

De grâce, NE VOUS ADRESSEZ PAS A MA JOIE,
elle est partie en voyage,
dans la caravane du plaisir.

N'ENVIEZ PAS MA PATIENCE,
vous allez l'énerver,
elle ne pourra plus s'endormir.

PASSEZ VOTRE CHEMIN
ET REVENEZ QUAND VOUS AUREZ MILLE ANS,
il y a des chances qu'on ait chacun tout oublier.
Alors on se verra autre,
on se découvrira dans un respect monumental

MAIS N'ANTICIPEZ PAS CE MOMENT
sinon il n'arrivera jamais
tant il faut du temps
pour apprendre à pardonner,
oublier ce qui fut
et ne voir que ce qui est,

goûter à l'homme riche
d'avoir décanté tout son dedans.



Les humains sont des drôles d'oiseaux

Paroles d'oiseaux, une fois qu'on a enlevé tous les arbres :

- si tu me tournes le dos et moi aussi, qui le saura ?
- pied épaté, pied épatant pour escalader le crayon de mes envies !
- tiens-toi à la branche si tu n'es pas beau (conseil d'une tête brûlée).
- au lieu de se grandir, vaut mieux se percher haut !
- paraît tout petit celui qui n'ouvre pas ses ailes !
- je crois vraiment qu'il faut faire des vagues pour ne pas se faire croquer par l'horizon.
- c'est chouette d'avoir la tête en bas, j'en suis toute retournée !
- quand je t'ai dans la peau, je t'ai sur mon dos !
- bec de gaz !!
- c'est en faisan que je fais le plus de chose !
- sur le fil du danger : "oiseau électrifié" !
- pour éviter d'être une rature, je vous conseille de commencer par être le fantôme d'une esquisse.
- pour me parler, s'adressez-vous directement à mon cœur.
- OK pour une crête en béret, mais vous ne me ferez pas tenir en plus dans mon bec un camembert : mon pays est l'International !
- à chaque fois que je me lève, j'ai l'air d'un plumeau… Ça va mal finir tout ça !
- si j'ai le cul qui fourche en queue de pie, c'est pour mieux m'asseoir sur les branches.
- ah, comme j'aime étendre mes jambes dans l'eau… A les voir onduler, je pense qu'elles ont poussé !
- je cherche une crevette qui accepterait d'être mangée. Vous pourriez me dire où se trouve le bal costumé ?
- si tu te poiles, tu te déplumes !


"Métafiction" d'Angeline LAUNAY


Personnages
: Zac Joanne.

Seul, je me retrouve seul sur cette planète. J'ai sillonné la ville de long en large. Il n'y a plus personne, ils ont tous disparu. Que s'est-il passé ?... Peut-être une déchirure du temps… Quel silence ! Quelle folie ! Quelle désolation ! Cela fait des heures que je marche. Des tas d'objets jonchent le sol. Les magasins sont ouverts, les bars, les hôtels.
Je vais m'habiller comme un prince, faire un festin de roi. Puis je m'installerai dans une suite du somptueux hôtel Panoramis. Et alors… je me mettrai au balcon et je prononcerai un discours. Le peuple, d'ailleurs absent, m'écoutera et mes phrases déclencheront un tonnerre de cris… Juste le son coupé… Juste l'imagination à l'œuvre…
Je suis devenu un dieu qui règne sur un monde de carcasses désertées. Les voitures, les maisons, les bâtiments publics… tout est à ma disposition. Mais à quoi tout cela va-t-il servir ?... Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été épargné ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Comment supporter le vide ? Vais-je devenir cinglé ?
Je ne vais pas rester en ville. Je vais aller m'installer dans une maison qui m'a toujours parue extraordinaire pour son perron qui donne sur la campagne… Je me suis souvent demandé comment c'était derrière les grandes baies vitrées… Et me voilà chez moi… de manière intruse… clandestin et maître du navire…
Est-ce que ça peut continuer comme ça ? Peut-être devrais-je mettre fin à cette mascarade… Il y a tout et il n'y a rien. Je suis tout et je ne suis rien. Tout est extraordinaire et tout est dérisoire. Il ne va plus rien se passer. Tout est fini. Je suis fini. Le monde est fini. Cette vue splendide d'une nature apaisante me fait presque peur… Elle se transformera en jungle et je terminerai dévoré par un animal sauvage. Mais pour l'instant, je vais me servir un verre et réfléchir, assis dans ce fauteuil blanc. Réfléchir à quoi ?... A moi … qui suis en train de me transformer en maison vide, dans cette maison vide. De quoi aurais-je peur aujourd'hui ? Et demain, pourquoi aurais-je soif, faim, envie de rire ou de pleurer… Que puis-je vouloir ou désirer ?... Que comprendre ? Qui aimer ? Où vouloir aller ? Qui vais-je devenir ? Pour quoi ? Pour qui ? J'ai été sauvé de la destruction… et je suis perdu… Je me perds dans ma propre vie. Je ne sais plus à quoi elle ressemble… à quoi je ressemble… Quel pauvre type ! Je n'arrive même plus à penser.

(Tout à coup, Zac se retrouve avec un pistolet pointé sur lui. Une femme est entrée par la baie vitrée entrouverte).
Joanne - Que faites-vous là, et qui êtes-vous ?
Zac - Je m'appelle Zac et je suppose que je suis comme vous, en train de constater que je me retrouve tout seul sur ce coin de terre…
Joanne - Je suis Joanne. Je vous ai vu quitter la ville et je me demandais… (Il se lève, avance vers elle et ils tombent dans les bras l'un de l'autre).
Zac - Comme je suis content !
Joanne - Je vous ai vu sur votre balcon à l'hôtel. Vous vous preniez pour un dieu !
Zac - Oui, je sais, j'étais ridicule. C'était ma manière de me dire que la solitude ne me faisait pas peur, que j'allais peut-être devoir vivre comme ça désormais, dans un monde sans hommes…
Joanne - Et sans femmes ! Je dois avouer que cette idée m'a aussi mise très mal à l'aise. Quand je vous ai aperçu là-haut, en train de faire votre discours, je me suis imaginé le pire et je me suis procuré cette arme avant de vous aborder.
Zac - Je comprends… mais je me trouve dans la même situation que vous… Il s'est passé un phénomène inexplicable. Qui sait si nous n'étions pas à l'abri quand ça s'est produit…
Joanne - Il y a peut-être d'autres personnes dans notre cas… Si nous allions faire un tour dans la ville voisine pour voir s'il reste quelqu'un et nous pourrons en profiter pour ramener des provisions… (Ils se dirigent en voiture vers la ville voisine).
Joanne - Vous vous rendez compte… Il va falloir tout reconstruire… Je veux dire… C'est un peu comme recommencer à zéro… Apprendre à vivre, à se connaître, à échanger des tas de choses… Vous êtes marié ?
Zac - Non, il n'y avait que mon travail qui comptait… je me consacrais à la mise au point d'un prototype dans une base scientifique quand c'est arrivé. Et vous ?
Joanne - Moi, je suis un électron libre. Il faut croire que c'est un pur hasard si je vous ai vu… Je n'arrive plus à penser…
Zac - Moi non plus…
Joanne - C'est sans doute trop tôt pour se décider à avoir des idées plus claires. Je dois dire que je me suis fait un sang d'encre tout à l'heure en ville. J'ai pensé à toutes ces choses qu'il me faudrait faire et je suis allée un peu partout en cherchant des solutions aux problèmes que je me posais…
Zac - Par exemple…
Joanne - Eh bien, si je pouvais contacter mes proches, s'il y avait de l'eau, de l'électricité, de quoi me nourrir, toutes les choses évidentes…
Zac - C'est drôle, je n'ai pas tellement pensé à ça. Je me suis juste demandé ce que j'allais devenir…
Joanne - C'est la même chose mais vue différemment. (Ils arrivent en ville). Est-ce que vous pourriez m'arrêter à ce magasin… Je vais me chercher une robe pour ce soir.
Zac - Bien sûr, je ne m'éloigne pas de la voiture. (Au bout d'un moment, Joanne arrive dans une tenue extravagante, une robe en tulle bleu clair qui lui donne l'allure d'un personnage surnaturel. Zac reste sans voix).
Joanne - Si je vous dis que c'est tout ce que j'ai trouvé, vous n'allez pas me croire. Non, j'ai cherché un vêtement qui puisse apporter de la légèreté à la vie, aux choses, comme de l'insouciance… parce que nous allons en avoir besoin je crois…


"Vénus ou les exigences de l'amour…" suivi de "Ritournelle" de Karine LEROY

Vénus
ou les exigences de l'amour..
..

Etoile-moi !
Constelle mon ciel de myriades de poèmes tactiles
Regarde-moi comme une galaxie infinie…
Construit-moi une pyramide dans le désert, un château
De tes sables émouvants, une gondole qui vole jusqu'à la lune…
Effluve-moi de paroles étincelles
Arme-toi de patience pour faire tomber un à un mes remparts les plus précieux
Si tu sais sentir mon âme à travers le bois de ma porte
Alors je t'ouvrirai…

(Attention, tiens-toi prêt pour le big-bang !)

 

Ritournelle

En deux temps, trois mouvements, comme un coup du destin

C'est pas le temps des cerises mais celui des valises
On a voulu valser trop vite
C'était pas la bonne rythmique
Y a eu un coup d'panique
Nous v'là éjectés contre la vitre

La tsoin tsoin tsoin
La tsoin tsoin tsoin

Face à face avec soi-même
Laisse tomber tu me fais d'la peine
A chacun son tourbillon d'problèmes
On a voulu valser trop vite
Nous v'là collés contre la vitre

La tsoin tsoin
La tsoin tsoin

Alors on fait nos valises
On se mange nos dernières cerises
Avant d'aller tanguer sur la banquise
C'est la valse des amants
Qui se séparent à la Saint Jean

La tsoin tsoin
La tsoin tsoin

Quand on est à marée basse
Chacun r'prend sa contrebasse
Tic tac bong, faut prendre le train qui passe
On repart dans son sillon A chacun son tourbillon

La tsoin tsoin
La tsoin tsoin

This is a no return ritournelle
Au revoir les violons !

 

"Du Boris Vian... avant l'heure... " de Janine NOWAK

Voix de femme, dans le lointain : " Chééérrrriiiiiiiiiii !!! "
L'homme, un grand barbu costaud, lui répond : " Oui, ma Chérie ? "
La femme reprend : " Tu peux venir, mon Jupiter-Zeus adoré. Le repas est prêêêêêt !!! "

Jupiter-Zeus : " Entendu, ma Junon-Héra. J'arrive. Mais accorde-moi encore dix minutes. J'ai un peu de classement à faire. Dis-moi : qu'as-tu préparé de bon ? "
Junon-Héra : " Mais comme d'habitude, mon amour : de l'Ambroisie en plat de résistance, et pour boisson, mon fameux Nectar. "
Jupiter-Zeus : " Parfait, parfait. J'en ai déjà l'eau à la bouche. "
Junon-Héra : " Je t'attends. Il est vrai que l'Ambroisie réchauffée est encore meilleure ; mais ne tarde pas trop, tout de même. "

* * * * *

Après ces échanges de propos, Jupiter-Zeus, assis sur un nuage, les pieds dans le vide, est pensif. Il a été très inspiré, ce matin - presque trop - et à présent il va devoir donner un nom et une fonction à cette multitude de choses hétéroclites qu'il vient de créer et qui attendent son bon vouloir, soigneusement alignées sur le sol.
Il tend la main, attrape un objet jaune et scintillant. C'est une sorte de cercle, avec cinq branches régulières qui dépassent tout autour. Il tient entre le pouce et l'index cette circonférence à pointes - très jolie, au demeurant - la lève vers le ciel, la tourne, l'agite, et soudain, pris d'une inspiration, la lance bien haut et souffle fort dessus, pour lui permettre son envol. Un mot lui vient brusquement à l'esprit : " étoile ". Il regarde ce petit point lumineux, luisant dans l'espace, imagine que de nuit ce doit être encore plus spectaculaire, décide de faire un essai sans tarder. Il claque des doigts, et soudain la nuit tombe.
Un cri de protestation se fait aussitôt entendre : " Mais qu'est-ce ? Que se passe-t-il ? C'est moi qui m'occupe habituellement du soleil. C'est mon Job !!! "

Jupiter-Zeus : " Oui, Phébus-Apollon. Nous le savons. Mais tu permets ? Je faisais un test. Et par ailleurs, qui est le Chef ici, hein ? Je te rappelle que c'est moi qui l'ai fabriqué, cet astre solaire. Tu n'en es que le dépositaire et j'en reste le Maître incontesté, ce que tu as tendance à oublier. C'est comme pour le respect de la hiérarchie : il y aurait à redire. Bon, suffit : tu peux le remettre TON soleil ! "

En maugréant, Phébus-Apollon rallume le soleil, pendant que Jupiter-Zeus, très satisfait de son étoile, prend sur le champ la décision de multiplier ce prototype par millions, afin d'en consteller la galaxie, qui pour l'instant est bien vide. Ce sera un régal pour les yeux et ainsi, la nuit sera moins noire.
Regardant de nouveau ses trouvailles du jour, il repère une sorte de boule jaunâtre, très souple avec des petits trou-trous. Il est perplexe un moment, puis, par jeu, il jette cette sphère dans une flaque d'eau. Quelle n'est pas sa surprise de constater que le liquide a disparu en même temps que la boule a doublé de volume. Il la reprend en main, s'aperçoit qu'elle s'est alourdie, serre un peu les doigts, et… l'eau s'écoule ! Remarquant une tache de boue sur son pied gauche, il passe dessus cet objet imbibé, frotte doucement et serre encore un peu pour rincer ses orteils.
" Pas mal, pas mal du tout ", pense-t-il. Puis, il appelle bien fort : " Vénus-Aphrodite ! Viens ici, veux-tu ! "
Ses lourds cheveux blonds tombant jusqu'à sa chute de reins, splendide dans sa nudité, ondulant des hanches, Vénus-Aphrodite approche, s'arrête et prend une pose avantageuse.

Jupiter-Zeus : " Toi qui es très attentive à ta toilette, que dis-tu de cela ? "

Après quelques menues explication, Vénus-Aphrodite se prête de bonne grâce à l'expérience et semble même y prendre goût.

Vénus-Aphrodite (qui roucoule) : " Aouh ! C'est bon ", déclare-t-elle en frottant sa gorge avec volupté. " L'essayer, c'est l'adopter ! Et cela s'appelle ? "

Un peu pris au dépourvu, Jupiter-Zeus cogite deux secondes et trois dixièmes, puis décrète que ce sera " l'éponge ".

Jupiter-Zeus : " C'est bien, Vénus-Aphrodite. Ta coopération a été efficace. Je te remercie. Tu peux retourner à tes ablutions dans ta coquille. Te voilà équipée. "

Enchantée, Vénus-Aphrodite repart avec sa précieuse éponge, tandis que Jupiter-Zeus se hâte de rejoindre Junon-Héra.

* * * * *

Son repas terminé, de retour dans son atelier, Jupiter-Zeus commence par dupliquer ses étoiles.
Puis il enchaîne allègrement en donnant des noms à toute sa bimbeloterie. On trouve là, pêle-mêle : un réveille-matin, un cure-pipe, un appareil-photos, une ceinture de chasteté, un clavier, un presse-ail, un coussin, un moule à gaufres, un vase de nuit, une raquette de ping-pong, un arrosoir, etc., etc., etc.…
Il ne lui reste plus qu'un petit tas dans un coin, lorsque, après s'être silencieusement approchée de lui et l'avoir scruté un instant, une femme prend la parole d'une voix posée, et déclare : " Renonce ".

Jupiter-Zeus qui sursaute et qui se retourne vivement : " Ah, c'est toi ? Tu m'as fait peur. On ne t'entend jamais venir. Et à quoi dois-je renoncer ? " fait-il, hypocrite.
La femme : " A tout ce bric-à-brac indigne de toi " reprend-elle avec une nuance de mépris dans le ton.
Jupiter-Zeus (chagrin) : " Ah non, alors ! Je viens de passer un temps fou à les inventer, puis à leur trouver un nom ! Et pourquoi devrais-je tout abandonner ? "
La femme : " C'est plus fort que toi, hein ! Tu t'es encore jeté à corps perdu dans ta lamentable manie. Je sais que ce passe-temps t'amuse beaucoup, mais c'est trivial, vulgaire de s'occuper de telles frivolités. Laisse cela aux humains. Un jour ou l'autre, ils s'en chargeront avec plaisir ".
Jupiter-Zeus : " Les humains ?... Tu veux dire ces êtres poilus qui s'entredévorent entre tribus ? ".
La femme : " Absolument. A l'heure actuelle, ce ne sont que des cannibales qui fonctionnent à l'instinct. Mais tu leur a offert l'intelligence. Regarde : ils viennent de découvrir qu'en taillant des pierres, leur vie s'en trouvait facilitée. Crois-moi : ils vont très vite évoluer, et d'ici quelques millénaires, ils marcheront sur la lune ! ".
Jupiter-Zeus : " La lune ? Qu'est-ce-que c'est, la Lune ? "
La femme : " C'est ce que tu vas faire naître à l'instant-même, avec ceci ! "
Elle ramasse dans le petit tas encore sans nom, une sorte de ballon jaune brillant et reprend, avec humour : " Décidemment, encore ce coloris ! Tu as fait un vœu, ou quoi ? ".
Jupiter-Zeus la regarde, sans comprendre.
La femme : " Je plaisantais. Tu ne peux pas te faire de vœu à toi-même. Les humains s'en amuseront, dans longtemps. Mais revenons à la lune. Tu lui feras subir le même sort qu'à tes étoiles ; cependant, elle restera un modèle unique. De plus, un bon conseil : fais-en cadeau à Diane-Artémise ; car depuis que tu as offert son éponge à Vénus-Aphrodite, elle boude ! "
Jupiter-Zeus, estomaqué : " Oh ??? "
La femme : " Hé oui, c'est ainsi. Tu devrais être plus vigilent et veiller à ne pas froisser les susceptibilités. Tu connais Diane-Artémise : brave-fille, le cœur sur la main, mais un caractère de cochon. C'est pénible au quotidien ; cependant du point de vue psychologique, ce n'est pas dépourvu d'intérêt. Bon, à présent, démolis toutes ces bricoles ".
Jupiter-Zeus (maussade) : " Toujours des contraintes ! La Pythie, tu m'énerves ; et je me demande pourquoi je t'écoute, alors que tout à l'heure, j'ai remis Phébus-Apollon à sa place ? "
La Pythie de Delphes : " Phébus-Apollon ? Il n'a eu que ce qu'il méritait. C'est un dandy suffisant, vaniteux, avec une cervelle pas plus grosse qu'un pois chiche ". Jupiter-Zeus (marque un temps d'arrêt) : " Et c'est quoi, un pois chiche ? "
La Pythie se baisse, récupère dans le petit tas une bille jaune qu'elle tend à Jupiter-Zeus : " C'est ce légume que tu viens de créer et que tu vas donner à Cérès-Déméter, notre Déesse de l'Agriculture. Bien ; il est temps de détruire tout ce qu'il reste ".
Jupiter-Zeus : " Tu y tiens vraiment ? Même-cela ? " demande-t-il en montrant un objet. " Je le trouvais rigolo, moi, ce truc ! "
La Pythie (inflexible) : " La totalité, te dis-je. D'ailleurs, ce bidule bizarre n'existera jamais que dans l'imagination d'un poète du 20ème Siècle, qui le mettra en chanson un jour ".
Et d'une belle voix de Mezzo Soprano, la Pythie se met à fredonner :
" Une tourniquette, Pour faire la vinaigrette ".

Puis elle enchaîne : " Tu vois, tout est déjà en place. Et je ne devrais pas avoir à te rappeler qu'un Dieu - et le plus grand de tous - ne peut pas se montrer si primesautier. Tu dois accomplir ta tâche avec sérieux et te contenter de n'intervenir que sur la vie, la faune, la flore et les éléments ".
Jupiter-Zeus, sans un mot, la mine contrite, mais fataliste, commence à réduire en miettes ses belles trouvailles.
Arrive un homme, essoufflé d'avoir couru, et très excité. Ses yeux malicieux brillent.

L'homme : " Patron ! Patron ! Ca y est ! Mon expérience a réussi ! Tu sais, le raisin que Cérès-Déméter m'avait donné… Ça marche ! C'est délicieux. Tiens, goûte. Je t'en ai apporté ".
Jupiter-Zeus, trop content d'échapper à la tyrannie de la Pythie, s'empresse de porter à ses lèvres le gobelet contenant le breuvage que lui tend l'homme et s'écrit : " Fameux ! Bacchus-Dionysos, tu es un génie ! Voilà qui va nous changer du Nectar dont je commençais à me lasser ! ".

La Pythie, sur le point d'intervenir, se ravise. Elle pense qu'il est juste de ne pas contrarier Jupiter-Zeus davantage et de le laisser un peu profiter de ce plaisir nouveau : la boisson avec Bacchus-Dionysos !
Ah ! En voilà encore un qui affiche un mépris souverain pour les dogmes !
Elle s'éclipse, comme elle était venue, et retourne méditer et faire ses prophéties dans sa grotte.
Jupiter-Zeus et Bacchus-Dionysos, tout à leurs libations, ne remarquent même pas son départ.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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