Suite
à la présentation de 5 supports différents (au
choix des participants, le même pouvant être repris... et
chacune de ces feuilles pouvant initier une nouvelle histoire ou en poursuivre
une seule)...
...ces
textes, notamment, ont été produits
durant la séance
(ce qui fait, dans l'ordre de présentation sur cette
page web):
- "Fragments cosmo-telluriques" suivi de "Naufrage"
et "Chhuutt" de SCRIBUS
- "La science
des rencontres" suivi de "Arbres
de plumes" et "L'opération décantation"
et "Les humains sont des drôles d'oiseaux" de Régis
MOULU
- "Métafiction"
d'Angeline LAUNAY
- "Vénus ou les exigences de l'amour"
suivi de "Ritournelle" de Karine LEROY
"Du Boris Vian...avant l'heure..." de Janine
NOWAK
"Fragments cosmo-telluriques" suivi
de "Naufrage" et
"Chhuutt"
de SCRIBUS
Fragments cosmo-telluriques
Sur un banc.
Où ? quartier historique de Milan.
Quand ? demain.
Y'aura qui ? les mêmes.
C'est combien ? tu connais mon tarif.
Et cette fois-ci ? le 3è de la liste.
Le code ? opération pointillé.
Une certaine vision de la réalité qui vient percuter l'autre.
Il m'a dit : NON
Où je lui réponds, ou j'implose, ou je pars.
Mon regard peut se rétrécir ou au contraire le champ des possibles est
ouvert sur l'INFINI.
L'Infini de la pensée, des choix, des réponses est devant moi.
Je lui réponds : Je comprends ton point de vue. Comment ne le comprendrais-je
pas ?
Il a l'air…SOULAGE…ses yeux s'écarquillent, son regard revient vers
moi.
Je poursuis : Je te comprends mais c'est impossible pour moi, c'est
à toi de décider.
Le mot est lâché et s'envole tel un boomerang dans le cosmos.
Je pars…
Un regard allumé, incandescent et présent qui ne voit
Presque plus.
Des points, des formes et myriades de couleurs
Résonnent du monde.
La forme difforme est palpable par
Sa précipitation ou sa fluidité.
Les êtres sont beaux ou laids d'autre chose.
La vie est vibration.
Ciseler cette phrase de sorte que…
…chaque mot viendra percuter son esprit,
Lui transmettre l'indicible avec ces paillettes,
Ou reprendre l'écho du silence qui ne se trompe jamais.
Où sont allées les étincelles des regards éteints ?
La lumière incandescente du matin en a peut-être le secret
Où le labyrinthe du temps les a-t-il séquestrées ?
Où serait-ce au fond des âmes que l'alchimie est en panne…
Insaisissable étincelle qui part et qui revient !
Naufrage
Fait trop chaud soupira Mam Feuillantine
Pas un brin d'air et la tige est bien engourdie
Eh ! la tige, tu veux pas nous s'couer un peu ?
On se dessèche, nous autres, en bas !
J'peux rien faire sans vous
Penchez vos têtes à "3"
Envoyez d'la toile
Et j'oriente la mature
Un coup de vent soudain
Fit faillir la manœuvre
Et la tige ploya si bien
Que les feuilles en perdirent leur cœur
Chhuutt !
Charleston, chacha, la mouche trébuche, se cache sous le branchage,
Cherche à fuir, ses pattes chétives s'entrechoquent, elle choie,
Charivari dans sa tête !
Elle gesticule, chavire, cherchant une verticalité, échoue à nouveau,
Chimère de vouloir faire la belle devant le bourdon !
Changer de branche ou choisir la chute
"La
science des rencontres" suivi
de "Arbres de plumes"
et
"L'opération
décantation" et
"Les humains
sont des drôles d'oiseaux"
de Régis MOULU
La science des rencontres
On ne voit jamais tout,on a le slalom dans le sang.
J'aime regarder les poteaux, les lampadaires, les poubelles et toutes
les autres lignes verticales. J'aime les lignes, ça me repose, ça me
porte, ça me gribouille comme il faut. On manque toujours de balises,
de bornes, de sous-objectifs et d'obstacles. Chaque obstacle est un
repère. La vie à pleines dents, c'est une vie à pleine face. Tout nous
heurtera un jour. La Terre tourne. A l'école, on devrait apprendre la
science des rencontres, comme ça, on ferait moins les étonnés à chaque
fois qu'on croise quelqu'un d'étrange, d'étranger, d'extraterrestre.
Moi, j'ai un planning de satellite ; je tourne, je tourne, j'oublis
d'atterrir, je vise la lune, j'ai des chaleurs, je sue des mains.
J'avance, je fais des trajectoires avec mon regard, je construis des
droites et des parcours avec mes pieds, je multiplie les occasions de
tous vous rencontrer. Nos sens, nos envies, nos itinérances laissent
mille traces ici et là, tendent mille segments ici et ailleurs tant
et si bien que passé et futur ne sont que grand jeu de mikados au présent.
Avec le temps, l'espace se resserre,
avec le temps, l'univers se rapproche
et hors du temps, nous assiégeons l'impossible pour qu'il nous rende
une chance de rêver sans contrepartie.
Traceur à l'infini, je suis passé par là
et je repasserai par ici
plutôt le jour où
vous n'y serez pas.
car ceux qui stationnent prennent racines en s'offrant par là même l'occasion
de tout voir tourner autour d'eux.
Arbres de plumes
Les arbres caressent carrément le ciel.
Et je te chatouille par ici !
Et je te bruisse quelque chose par là.
Comme un voile, les branches habillent le soleil, l'érotisent,
prétextent de le protéger du froid.
Avoir des feuilles, c'est avoir une sensibilité riche,
dynamique et passagère,
je te vois comme cela.
Le vert, c'est la couleur de la conquête,
de l'impatience et de l'audace.
on en a tous qui pousse
sur notre squelette de bois.
J'entends l'oiseau qui viendra,
il s'appelle l'espoir.
J'aimerais déjà sentir son poids,
rêver un temps que mes feuilles sont ses plumes,
que je parade, que je gazouille, que je flotte.
Les arbres sont des fontaines, le désir un écureuil,
on passe sa vie à se frôler, à se tresser,
à pousser toujours plus loin
nos mains pleines.
On sait tous fleurir, rien ne nous arrête,
pas même les saisons qui nous revigorent
et qui nous rappellent…
" Demain est un nouveau jour
où j'aimerais tendre vers toi. "
L'opération "décantation"
NE TIREZ PAS SUR MA VOLONTE, C'EST UNE PYRAMIDE,
j'ai mis des siècles à la monter ;
c'est une histoire de famille,
c'est compliqué,
PASSEZ VOTRE CHEMIN,
ET NE MARCHEZ PAS SUR MES MIRAGES
ou vous allez tâter de mon imagination.
Abracadacrasse !
De grâce, NE VOUS ADRESSEZ PAS A MA JOIE,
elle est partie en voyage,
dans la caravane du plaisir.
N'ENVIEZ PAS MA PATIENCE,
vous allez l'énerver,
elle ne pourra plus s'endormir.
PASSEZ VOTRE CHEMIN
ET REVENEZ QUAND VOUS AUREZ MILLE ANS,
il y a des chances qu'on ait chacun tout oublier.
Alors on se verra autre,
on se découvrira dans un respect monumental
MAIS N'ANTICIPEZ PAS CE MOMENT
sinon il n'arrivera jamais
tant il faut du temps
pour apprendre à pardonner,
oublier ce qui fut
et ne voir que ce qui est,
goûter à l'homme riche
d'avoir décanté tout son dedans.
Les humains sont des drôles d'oiseaux
Paroles d'oiseaux, une fois qu'on a enlevé tous les arbres
:
- si tu me tournes le dos et moi aussi, qui le saura ?
- pied épaté, pied épatant pour escalader le crayon de mes envies !
- tiens-toi à la branche si tu n'es pas beau (conseil d'une tête brûlée).
- au lieu de se grandir, vaut mieux se percher haut !
- paraît tout petit celui qui n'ouvre pas ses ailes !
- je crois vraiment qu'il faut faire des vagues pour ne pas se faire
croquer par l'horizon.
- c'est chouette d'avoir la tête en bas, j'en suis toute retournée !
- quand je t'ai dans la peau, je t'ai sur mon dos !
- bec de gaz !!
- c'est en faisan que je fais le plus de chose !
- sur le fil du danger : "oiseau électrifié" !
- pour éviter d'être une rature, je vous conseille de commencer par
être le fantôme d'une esquisse.
- pour me parler, s'adressez-vous directement à mon cœur.
- OK pour une crête en béret, mais vous ne me ferez pas tenir en plus
dans mon bec un camembert : mon pays est l'International !
- à chaque fois que je me lève, j'ai l'air d'un plumeau… Ça va mal finir
tout ça !
- si j'ai le cul qui fourche en queue de pie, c'est pour mieux m'asseoir
sur les branches.
- ah, comme j'aime étendre mes jambes dans l'eau… A les voir onduler,
je pense qu'elles ont poussé !
- je cherche une crevette qui accepterait d'être mangée. Vous pourriez
me dire où se trouve le bal costumé ?
- si tu te poiles, tu te déplumes !
"Métafiction"
d'Angeline LAUNAY
Personnages : Zac Joanne.
Seul, je me retrouve seul sur cette planète. J'ai
sillonné la ville de long en large. Il n'y a plus personne, ils ont
tous disparu. Que s'est-il passé ?... Peut-être une déchirure du temps…
Quel silence ! Quelle folie ! Quelle désolation ! Cela fait des heures
que je marche. Des tas d'objets jonchent le sol. Les magasins sont ouverts,
les bars, les hôtels.
Je vais m'habiller comme un prince, faire un festin de roi. Puis je
m'installerai dans une suite du somptueux hôtel Panoramis. Et alors…
je me mettrai au balcon et je prononcerai un discours. Le peuple, d'ailleurs
absent, m'écoutera et mes phrases déclencheront un tonnerre de cris…
Juste le son coupé… Juste l'imagination à l'œuvre…
Je suis devenu un dieu qui règne sur un monde de carcasses désertées.
Les voitures, les maisons, les bâtiments publics… tout est à ma disposition.
Mais à quoi tout cela va-t-il servir ?... Pourquoi moi ? Pourquoi ai-je
été épargné ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Comment supporter
le vide ? Vais-je devenir cinglé ?
Je ne vais pas rester en ville. Je vais aller m'installer dans une maison
qui m'a toujours parue extraordinaire pour son perron qui donne sur
la campagne… Je me suis souvent demandé comment c'était derrière les
grandes baies vitrées… Et me voilà chez moi… de manière intruse… clandestin
et maître du navire…
Est-ce que ça peut continuer comme ça ? Peut-être devrais-je mettre
fin à cette mascarade… Il y a tout et il n'y a rien. Je suis tout et
je ne suis rien. Tout est extraordinaire et tout est dérisoire. Il ne
va plus rien se passer. Tout est fini. Je suis fini. Le monde est fini.
Cette vue splendide d'une nature apaisante me fait presque peur… Elle
se transformera en jungle et je terminerai dévoré par un animal sauvage.
Mais pour l'instant, je vais me servir un verre et réfléchir, assis
dans ce fauteuil blanc. Réfléchir à quoi ?... A moi … qui suis en train
de me transformer en maison vide, dans cette maison vide. De quoi aurais-je
peur aujourd'hui ? Et demain, pourquoi aurais-je soif, faim, envie de
rire ou de pleurer… Que puis-je vouloir ou désirer ?... Que comprendre
? Qui aimer ? Où vouloir aller ? Qui vais-je devenir ? Pour quoi ? Pour
qui ? J'ai été sauvé de la destruction… et je suis perdu… Je me perds
dans ma propre vie. Je ne sais plus à quoi elle ressemble… à quoi je
ressemble… Quel pauvre type ! Je n'arrive même plus à penser.
(Tout à coup, Zac se retrouve avec un pistolet pointé
sur lui. Une femme est entrée par la baie vitrée entrouverte).
Joanne - Que faites-vous là, et qui êtes-vous ?
Zac - Je m'appelle Zac et je suppose que je suis comme vous,
en train de constater que je me retrouve tout seul sur ce coin de terre…
Joanne - Je suis Joanne. Je vous ai vu quitter la ville et je
me demandais… (Il se lève, avance vers elle et ils tombent dans les
bras l'un de l'autre).
Zac - Comme je suis content !
Joanne - Je vous ai vu sur votre balcon à l'hôtel. Vous vous
preniez pour un dieu !
Zac - Oui, je sais, j'étais ridicule. C'était ma manière de me
dire que la solitude ne me faisait pas peur, que j'allais peut-être
devoir vivre comme ça désormais, dans un monde sans hommes…
Joanne - Et sans femmes ! Je dois avouer que cette idée m'a aussi
mise très mal à l'aise. Quand je vous ai aperçu là-haut, en train de
faire votre discours, je me suis imaginé le pire et je me suis procuré
cette arme avant de vous aborder.
Zac - Je comprends… mais je me trouve dans la même situation
que vous… Il s'est passé un phénomène inexplicable. Qui sait si nous
n'étions pas à l'abri quand ça s'est produit…
Joanne - Il y a peut-être d'autres personnes dans notre cas…
Si nous allions faire un tour dans la ville voisine pour voir s'il reste
quelqu'un et nous pourrons en profiter pour ramener des provisions…
(Ils se dirigent en voiture vers la ville voisine).
Joanne - Vous vous rendez compte… Il va falloir tout reconstruire…
Je veux dire… C'est un peu comme recommencer à zéro… Apprendre à vivre,
à se connaître, à échanger des tas de choses… Vous êtes marié ?
Zac - Non, il n'y avait que mon travail qui comptait… je me consacrais
à la mise au point d'un prototype dans une base scientifique quand c'est
arrivé. Et vous ?
Joanne - Moi, je suis un électron libre. Il faut croire que c'est
un pur hasard si je vous ai vu… Je n'arrive plus à penser…
Zac - Moi non plus…
Joanne - C'est sans doute trop tôt pour se décider à avoir des
idées plus claires. Je dois dire que je me suis fait un sang d'encre
tout à l'heure en ville. J'ai pensé à toutes ces choses qu'il me faudrait
faire et je suis allée un peu partout en cherchant des solutions aux
problèmes que je me posais…
Zac - Par exemple…
Joanne - Eh bien, si je pouvais contacter mes proches, s'il y
avait de l'eau, de l'électricité, de quoi me nourrir, toutes les choses
évidentes…
Zac - C'est drôle, je n'ai pas tellement pensé à ça. Je me suis
juste demandé ce que j'allais devenir…
Joanne - C'est la même chose mais vue différemment. (Ils arrivent
en ville). Est-ce que vous pourriez m'arrêter à ce magasin… Je vais
me chercher une robe pour ce soir.
Zac - Bien sûr, je ne m'éloigne pas de la voiture. (Au bout
d'un moment, Joanne arrive dans une tenue extravagante, une robe en
tulle bleu clair qui lui donne l'allure d'un personnage surnaturel.
Zac reste sans voix).
Joanne - Si je vous dis que c'est tout ce que j'ai trouvé, vous
n'allez pas me croire. Non, j'ai cherché un vêtement qui puisse apporter
de la légèreté à la vie, aux choses, comme de l'insouciance… parce que
nous allons en avoir besoin je crois…
"Vénus
ou les exigences de l'amour…" suivi
de "Ritournelle"
de Karine LEROY
Vénus
ou les exigences de l'amour....
Etoile-moi !
Constelle mon ciel de myriades de poèmes tactiles
Regarde-moi comme une galaxie infinie…
Construit-moi une pyramide dans le désert, un château
De tes sables émouvants, une gondole qui vole jusqu'à la lune…
Effluve-moi de paroles étincelles
Arme-toi de patience pour faire tomber un à un mes remparts les plus
précieux
Si tu sais sentir mon âme à travers le bois de ma porte
Alors je t'ouvrirai…
(Attention, tiens-toi prêt pour le big-bang !)
Ritournelle
En deux temps, trois mouvements, comme un coup du
destin
C'est pas le temps des cerises mais celui des valises
On a voulu valser trop vite
C'était pas la bonne rythmique
Y a eu un coup d'panique
Nous v'là éjectés contre la vitre
La tsoin tsoin tsoin
La tsoin tsoin tsoin
Face à face avec soi-même
Laisse tomber tu me fais d'la peine
A chacun son tourbillon d'problèmes
On a voulu valser trop vite
Nous v'là collés contre la vitre
La tsoin tsoin
La tsoin tsoin
Alors on fait nos valises
On se mange nos dernières cerises
Avant d'aller tanguer sur la banquise
C'est la valse des amants
Qui se séparent à la Saint Jean
La tsoin tsoin
La tsoin tsoin
Quand on est à marée basse
Chacun r'prend sa contrebasse
Tic tac bong, faut prendre le train qui passe
On repart dans son sillon A chacun son tourbillon
La tsoin tsoin
La tsoin tsoin
This is a no return ritournelle
Au revoir les violons !
"Du
Boris Vian... avant l'heure... " de Janine NOWAK
Voix de femme, dans le lointain : " Chééérrrriiiiiiiiiii
!!! "
L'homme, un grand barbu costaud, lui répond : " Oui, ma Chérie ? "
La femme reprend : " Tu peux venir, mon Jupiter-Zeus adoré. Le repas
est prêêêêêt !!! "
Jupiter-Zeus : " Entendu, ma Junon-Héra. J'arrive. Mais accorde-moi
encore dix minutes. J'ai un peu de classement à faire. Dis-moi : qu'as-tu
préparé de bon ? "
Junon-Héra : " Mais comme d'habitude, mon amour : de l'Ambroisie
en plat de résistance, et pour boisson, mon fameux Nectar. "
Jupiter-Zeus : " Parfait, parfait. J'en ai déjà l'eau à la bouche.
"
Junon-Héra : " Je t'attends. Il est vrai que l'Ambroisie réchauffée
est encore meilleure ; mais ne tarde pas trop, tout de même. "
* * * * *
Après ces échanges de propos, Jupiter-Zeus, assis sur un nuage, les
pieds dans le vide, est pensif. Il a été très inspiré, ce matin - presque
trop - et à présent il va devoir donner un nom et une fonction à cette
multitude de choses hétéroclites qu'il vient de créer et qui attendent
son bon vouloir, soigneusement alignées sur le sol.
Il tend la main, attrape un objet jaune et scintillant. C'est une sorte
de cercle, avec cinq branches régulières qui dépassent tout autour.
Il tient entre le pouce et l'index cette circonférence à pointes - très
jolie, au demeurant - la lève vers le ciel, la tourne, l'agite, et soudain,
pris d'une inspiration, la lance bien haut et souffle fort dessus, pour
lui permettre son envol. Un mot lui vient brusquement à l'esprit : "
étoile ". Il regarde ce petit point lumineux, luisant dans l'espace,
imagine que de nuit ce doit être encore plus spectaculaire, décide de
faire un essai sans tarder. Il claque des doigts, et soudain la nuit
tombe.
Un cri de protestation se fait aussitôt entendre : " Mais qu'est-ce
? Que se passe-t-il ? C'est moi qui m'occupe habituellement du soleil.
C'est mon Job !!! "
Jupiter-Zeus : " Oui, Phébus-Apollon. Nous le savons. Mais tu
permets ? Je faisais un test. Et par ailleurs, qui est le Chef ici,
hein ? Je te rappelle que c'est moi qui l'ai fabriqué, cet astre solaire.
Tu n'en es que le dépositaire et j'en reste le Maître incontesté, ce
que tu as tendance à oublier. C'est comme pour le respect de la hiérarchie
: il y aurait à redire. Bon, suffit : tu peux le remettre TON soleil
! "
En maugréant, Phébus-Apollon rallume le soleil, pendant que Jupiter-Zeus,
très satisfait de son étoile, prend sur le champ la décision de multiplier
ce prototype par millions, afin d'en consteller la galaxie, qui pour
l'instant est bien vide. Ce sera un régal pour les yeux et ainsi, la
nuit sera moins noire.
Regardant de nouveau ses trouvailles du jour, il repère une sorte de
boule jaunâtre, très souple avec des petits trou-trous. Il est perplexe
un moment, puis, par jeu, il jette cette sphère dans une flaque d'eau.
Quelle n'est pas sa surprise de constater que le liquide a disparu en
même temps que la boule a doublé de volume. Il la reprend en main, s'aperçoit
qu'elle s'est alourdie, serre un peu les doigts, et… l'eau s'écoule
! Remarquant une tache de boue sur son pied gauche, il passe dessus
cet objet imbibé, frotte doucement et serre encore un peu pour rincer
ses orteils.
" Pas mal, pas mal du tout ", pense-t-il. Puis, il appelle bien fort
: " Vénus-Aphrodite ! Viens ici, veux-tu ! "
Ses lourds cheveux blonds tombant jusqu'à sa chute de reins, splendide
dans sa nudité, ondulant des hanches, Vénus-Aphrodite approche, s'arrête
et prend une pose avantageuse.
Jupiter-Zeus : " Toi qui es très attentive à ta toilette, que
dis-tu de cela ? "
Après quelques menues explication, Vénus-Aphrodite se prête de bonne
grâce à l'expérience et semble même y prendre goût.
Vénus-Aphrodite (qui roucoule) : " Aouh ! C'est bon ", déclare-t-elle
en frottant sa gorge avec volupté. " L'essayer, c'est l'adopter ! Et
cela s'appelle ? "
Un peu pris au dépourvu, Jupiter-Zeus cogite deux secondes et trois
dixièmes, puis décrète que ce sera " l'éponge ".
Jupiter-Zeus : " C'est bien, Vénus-Aphrodite. Ta coopération
a été efficace. Je te remercie. Tu peux retourner à tes ablutions dans
ta coquille. Te voilà équipée. "
Enchantée, Vénus-Aphrodite repart avec sa précieuse éponge, tandis que
Jupiter-Zeus se hâte de rejoindre Junon-Héra.
* * * * *
Son repas terminé, de retour dans son atelier, Jupiter-Zeus commence
par dupliquer ses étoiles.
Puis il enchaîne allègrement en donnant des noms à toute sa bimbeloterie.
On trouve là, pêle-mêle : un réveille-matin, un cure-pipe, un appareil-photos,
une ceinture de chasteté, un clavier, un presse-ail, un coussin, un
moule à gaufres, un vase de nuit, une raquette de ping-pong, un arrosoir,
etc., etc., etc.…
Il ne lui reste plus qu'un petit tas dans un coin, lorsque, après s'être
silencieusement approchée de lui et l'avoir scruté un instant, une femme
prend la parole d'une voix posée, et déclare : " Renonce ".
Jupiter-Zeus qui sursaute et qui se retourne vivement : " Ah,
c'est toi ? Tu m'as fait peur. On ne t'entend jamais venir. Et à quoi
dois-je renoncer ? " fait-il, hypocrite.
La femme : " A tout ce bric-à-brac indigne de toi " reprend-elle
avec une nuance de mépris dans le ton.
Jupiter-Zeus (chagrin) : " Ah non, alors ! Je viens de passer
un temps fou à les inventer, puis à leur trouver un nom ! Et pourquoi
devrais-je tout abandonner ? "
La femme : " C'est plus fort que toi, hein ! Tu t'es encore jeté
à corps perdu dans ta lamentable manie. Je sais que ce passe-temps t'amuse
beaucoup, mais c'est trivial, vulgaire de s'occuper de telles frivolités.
Laisse cela aux humains. Un jour ou l'autre, ils s'en chargeront avec
plaisir ".
Jupiter-Zeus : " Les humains ?... Tu veux dire ces êtres poilus
qui s'entredévorent entre tribus ? ".
La femme : " Absolument. A l'heure actuelle, ce ne sont que des
cannibales qui fonctionnent à l'instinct. Mais tu leur a offert l'intelligence.
Regarde : ils viennent de découvrir qu'en taillant des pierres, leur
vie s'en trouvait facilitée. Crois-moi : ils vont très vite évoluer,
et d'ici quelques millénaires, ils marcheront sur la lune ! ".
Jupiter-Zeus : " La lune ? Qu'est-ce-que c'est, la Lune ? "
La femme : " C'est ce que tu vas faire naître à l'instant-même,
avec ceci ! "
Elle ramasse dans le petit tas encore sans nom, une sorte de ballon
jaune brillant et reprend, avec humour : " Décidemment, encore ce coloris
! Tu as fait un vœu, ou quoi ? ".
Jupiter-Zeus la regarde, sans comprendre.
La femme : " Je plaisantais. Tu ne peux pas te faire de vœu à
toi-même. Les humains s'en amuseront, dans longtemps. Mais revenons
à la lune. Tu lui feras subir le même sort qu'à tes étoiles ; cependant,
elle restera un modèle unique. De plus, un bon conseil : fais-en cadeau
à Diane-Artémise ; car depuis que tu as offert son éponge à Vénus-Aphrodite,
elle boude ! "
Jupiter-Zeus, estomaqué : " Oh ??? "
La femme : " Hé oui, c'est ainsi. Tu devrais être plus vigilent
et veiller à ne pas froisser les susceptibilités. Tu connais Diane-Artémise
: brave-fille, le cœur sur la main, mais un caractère de cochon. C'est
pénible au quotidien ; cependant du point de vue psychologique, ce n'est
pas dépourvu d'intérêt. Bon, à présent, démolis toutes ces bricoles
".
Jupiter-Zeus (maussade) : " Toujours des contraintes ! La Pythie,
tu m'énerves ; et je me demande pourquoi je t'écoute, alors que tout
à l'heure, j'ai remis Phébus-Apollon à sa place ? "
La Pythie de Delphes : " Phébus-Apollon ? Il n'a eu que ce qu'il
méritait. C'est un dandy suffisant, vaniteux, avec une cervelle pas
plus grosse qu'un pois chiche ". Jupiter-Zeus (marque un temps d'arrêt)
: " Et c'est quoi, un pois chiche ? "
La Pythie se baisse, récupère dans le petit tas une bille jaune qu'elle
tend à Jupiter-Zeus : " C'est ce légume que tu viens de créer et que
tu vas donner à Cérès-Déméter, notre Déesse de l'Agriculture. Bien ;
il est temps de détruire tout ce qu'il reste ".
Jupiter-Zeus : " Tu y tiens vraiment ? Même-cela ? " demande-t-il
en montrant un objet. " Je le trouvais rigolo, moi, ce truc ! "
La Pythie (inflexible) : " La totalité, te dis-je. D'ailleurs,
ce bidule bizarre n'existera jamais que dans l'imagination d'un poète
du 20ème Siècle, qui le mettra en chanson un jour ".
Et d'une belle voix de Mezzo Soprano, la Pythie se met à fredonner :
" Une tourniquette, Pour faire la vinaigrette ".
Puis elle enchaîne : " Tu vois, tout est déjà en place. Et je ne devrais
pas avoir à te rappeler qu'un Dieu - et le plus grand de tous - ne peut
pas se montrer si primesautier. Tu dois accomplir ta tâche avec sérieux
et te contenter de n'intervenir que sur la vie, la faune, la flore et
les éléments ".
Jupiter-Zeus, sans un mot, la mine contrite, mais fataliste, commence
à réduire en miettes ses belles trouvailles.
Arrive un homme, essoufflé d'avoir couru, et très excité. Ses yeux malicieux
brillent.
L'homme : " Patron ! Patron ! Ca y est ! Mon expérience a réussi
! Tu sais, le raisin que Cérès-Déméter m'avait donné… Ça marche ! C'est
délicieux. Tiens, goûte. Je t'en ai apporté ".
Jupiter-Zeus, trop content d'échapper à la tyrannie de la Pythie,
s'empresse de porter à ses lèvres le gobelet contenant le breuvage que
lui tend l'homme et s'écrit : " Fameux ! Bacchus-Dionysos, tu es un
génie ! Voilà qui va nous changer du Nectar dont je commençais à me
lasser ! ".
La Pythie, sur le point d'intervenir, se ravise. Elle pense qu'il est
juste de ne pas contrarier Jupiter-Zeus davantage et de le laisser un
peu profiter de ce plaisir nouveau : la boisson avec Bacchus-Dionysos
!
Ah ! En voilà encore un qui affiche un mépris souverain pour les dogmes
!
Elle s'éclipse, comme elle était venue, et retourne méditer et faire
ses prophéties dans sa grotte.
Jupiter-Zeus et Bacchus-Dionysos, tout à leurs libations, ne remarquent
même pas son départ.