SAMEDI
3 OCTOBRE 2015
dans le cadre du cycle Animation : Régis MOULU Thème : Entretenir une hésitation prolongée entre le son et le sens (Valéry) Evoquant son engagement poétique, Paul Valéry déclare : « le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens ». En effet, la force d'un texte, ne vient-elle pas de sa capacité à nous charmer l'oreille tout en nous chatouillant (deuxième effet) le cervelet ?
Il s'agira donc pour nous d'intégrer ces deux enjeux, de front, afin de mieux investir notre texte à écrire. Remarque
: au-delà de la contrainte formelle
(thème), le sujet suivant a été proposé : Impressions d'un rameur (ou plusieurs...) qui vit comme un dialogue sublimé avec les éléments (en premier lieu : l'eau). |
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Ci-après
quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):
- "Barque alone" d'Angeline LAUNAY - "Le temps retrouvé" de Chantal GUERINOT - "Une barque sur l'eau" de Pascale SIMONNEAU - "Le casque égaré" de Régis MOULU - "Songerie d’un rameur solitaire" de Janine NOWAK
"Le rameur, les rames et l'eau" de Marie-Odile GUIGNON
"Le temps retrouvé" de Chantal GUERINOT Il faisait frais ce matin. Cette fraîcheur apaisante l'enveloppa dès son arrivée. Le silence de la forêt était là. La lumière était belle. Jean-Paul déchargea son canoë de bois, referma sa voiture. Prêt. Prêt pour son moment à lui. Loin de tout, de sa vie, du métro, du boulot, de sa famille, des contraintes, loin de la morosité de la vie quotidienne qui était son lot depuis si longtemps, déjà si longtemps... Il traîna le canoë jusqu'à l'eau, l'y jeta, s'y installa, prit les pagaies, ferma les yeux, respira un grand coup, rouvrit les yeux et tout pouvait commencer, le sourire retrouvé. Un coup de pagaie dans cette eau si calme et si limpide. Jean-Paul prit le temps de se laisser porter par ce glissement si léger, ce bonheur retrouvé. Un deuxième coup de pagaie le mit sur son chemin et amorça le rythme de la descente. Rythme des percées dans l'eau à intervalles réguliers. Les poissons venant frôler le canoë, si peu dérangés par lui, les herbes suivant le mouvement du courant, ondulant différemment sous les vagues du canoë. Les arbres si hauts, se refermant sur cette rivière comme s'ils voulaient la protéger et permettre à Jean-Paul de faire sien cet univers hors du temps, hors de lui. La rivière rétrécit et le courant se fit légèrement plus fort. Jean-Paul continua sur le même rythme dans cette aube qui annonçait une mâtinée radieuse. Son esprit se vida au fur et à mesure de la descente, son souffle se fit plus clair, un certain oubli de son corps, de lui tout entier se fit pour être juste là à cet instant précis et unique. La douceur de l'eau, la douceur du feuillage des arbres, la douceur de l'air, la douceur du lieu lui fit se retrouver, retrouver son être originel avec ses désirs, ses rêves de jeunesse à irrémédiablement accomplir avant d'être définitivement perdus, avec son essence de lenteur qui a toujours été sienne et qui est complètement inadapté à la vie qu'il s'inflige : obligations, contraintes, perte de désirs, perte du temps qui passe... Les remous se firent plus calmes et ondulants. Il entra dans le rêve porté par le clapotis de l'eau sous ses rames. Il arrêta de ramer, sentant le ralentissement de l'embarcation, se laissa porter par les éléments, le souffle apaisé, son corps relâché dans la bien être de sa condition. Souffler, s'arrêter, sortir de la tête de l'eau, regarder la lumière, cette eau si apaisante... Réfléchir, réfléchir, penser sans arriver à rien. Se sentir exister malgré tout, se sentir être. Voilà être. Essentiellement être. Se laisser bercer par cela. Reprendre les rames. Jouer avec l'eau. Se trouver. Se retrouver. Se sentir le maître de ce moment. Agir. Ramer confiant à tout jamais. Voir le bout de l'embarcadère d'arrivée. Sortir de l'eau. Sortir le canoë. Mettre le canoë sur le camion, s'asseoir et se laisser ramener au point de départ. Seul parmi les autres mais pas si seul. Avec cette force qui est dorénavant la sienne. Demain, Jean-Paul ne sera plus le même. Sur le chemin du métro, il lèvera la tête, il sourira au soleil, au chant des oiseaux, au bruissement des arbres. Il sourira, plein avec cet éclat lumineux dans les yeux qui fera que jamais rien, jamais rien ne sera plus comme avant.
"Une barque sur l'eau" de Pascale SIMONNEAU
"Le casque égaré" de Régis MOULU, animateur de l'atelier
éclaboussent, éclaboussent âme mécanique en partance, ô superbes gerbes, la barque, grosse feuille fossile, penchant pour les sacrifices, je cours vers la renaissance, incisant l'azur, un canard, pétrissent, meurtrissent par ma sueur, je déborderai ce lac, des troncs dérivent, « et joue, et joue la beauté inspirée planait, ô comme il fut doux de me tenir sous cette cloche, la berge espérée était là, je me crus coquillage, l'arrimage fut violent
"Songerie d’un rameur solitaire" de Janine NOWAK Prudence et modestie : pour cette première sortie, je me contente du tour de l’étang de Thau. Peut-être, la prochaine fois, oserai-je franchir le chenal et ainsi me retrouver de l’autre côté, vers le large et vent en poupe, afin d’affronter «la mer, la mer, toujours recommencée», (pensée en forme d’hommage au poète qui dort là-haut, sur la colline, sous sa pierre blanche). Bouzigues. Son charmant petit port de plaisance…ses immenses parcs à huitres. Hum…les huitres. J’en raffole. Je m’en fais des ventrées. Avec ma barque, je tourne et retourne depuis déjà plus d’une bonne heure, au milieu des installations ostréicoles. Doucement je m’approche des longs cordages amarrés à des systèmes fixes, où s’agglutinent les savoureux coquillages. Dans ce coin, ce sont les jeunes, les naissins comme on dit. Quatre années d’élevage, dans ces zones riches en plancton, sont nécessaires pour qu’une huitre atteigne sa taille marchande et soit prête à être consommée. Me voici tout songeur…Je m’interroge et me pose une curieuse question : à quoi peut bien penser une huitre ? Son activité est nulle. Elle est là, à attendre…A attendre, elle ne sait quoi, car la pauvrette ignore qu’elle est condamnée à être avalée toute crue, toute vivante, en une bouchée ! Elle doit se sentir ( mais, est-ce qu’une huître, ça réfléchit ?), enfin, si elle pense, elle doit se trouver (si toutefois l’élément liquide n’émousse pas les sensations), bien à l’abri dans sa carapace, comme moi à présent dans mon pointu. Après tout, qu’est-ce que je fais de plus glorieux que les huitres, en ce moment ? Je suis assis dans ma coquille de noix, je me prélasse, me contentant de savourer ce chaud soleil matinal qui m’apporte la fortifiante vitamine D, si nécessaire à la bonne qualité de mon squelette ! Qu’il fait bon ! Comme tout est beau ! Les couleurs palpitent. Je me laisse happer par ce calme, par la suave caresse de l’air sur mon visage, par cette atmosphère douillette. Je communie avec ce qui m’entoure. J’en suis tout ramolli et n’ai plus la moindre envie de bouger. D’ailleurs, pourquoi résister ? J’allonge les avirons dans l’embarcation, prends une pose confortable, installe mon chapeau sur mon nez, et me laisse bercer par les vaguelettes. Mon frêle esquif oscille au gré du vent. Un merveilleux engourdissement me saisit. Le léger clapotis des flots contre la paroi de mon embarcation est aussi plaisant à mes oreilles qu’une belle mélodie. Je somnole, rêvasse et me mets à penser aux espèces vivantes qui grouillent sous moi dans ce troublant monde du silence. Les fonds marins regorgent d’une végétation luxuriante et ondulante, dans laquelle folâtre une vie animale inimaginable. Une faune cachée, mystérieuse, sournoise, qui tourne, virevolte, se poursuit, s’enfuit à l’approche d’un prédateur en hurlant sans bruit, gueule grande ouverte, s’entre-dévore. Des êtres étranges, si éloignés des hommes bien qu’ils soient leurs ancêtres, des monstres marins peut-être, des sirènes - qui sait ? - qui mènent une vie intense, s’agitent interminablement. La fatigue, ils ne connaissent pas. Inlassablement, leur existence est orientée vers un seul but : la recherche de la nourriture. Mais après tout, les vaches dans les champs, n’en font-elles pas autant ? Et les fourmis qui engrangent à longueur de journées ! Quant aux poules, elles avalent sans retenue. Ah, heureux animaux que nous sommes, nous les humains, qui avons inventé le rire et les loisirs ! Revers de la médaille, nous savons que nous sommes mortels. C’est le triste privilège de notre intelligence développée. Mais, en attendant cet instant fatal, la vie offre de bons moments. Celui que je savoure tout bêtement ici-même, par exemple. Ne suis-je pas heureux, béat ? Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais osé sauter le pas. Depuis longtemps, une envie me tenaillait : aller sur l’eau, naviguer, prendre le large et surtout diriger moi-même et à ma guise, mon embarcation, en maître absolu. Je m’étais bien offert deux ou trois tours en pédalo… C’est sympathique le pédalo… Mais aux antipodes de la grande aventure ! Et puis voilà, je me suis lancé : j’ai cassé ma tirelire, acheté ce rafiot d’occasion, et mon rêve se réalise enfin. Oh, je sais bien que je ne me hasarderai jamais bien loin avec cette fragile barcasse. De toute façon, je n’aurais ni le courage, ni l’énergie des pêcheurs de baleines, des cap-horniers, de ces travailleurs de l’extrême, de ces surhommes soumis à rude épreuve, qui affrontent les océans déchaînés, défient la nature, parfois au prix de leur vie. Eux, les brisants ne les effraient pas. L’eau est leur élément. Un élément déroutant, traître, imprévisible. Une mer d’huile peut, par un brusque caprice, se changer en gouffre mortel qui avalera à jamais ces êtres d’une bravoure hors norme. Mais moi, le timoré, le couard, si demain, ou après-demain, je trouve l’audace de simplement longer la côté de Sète à Palavas-les-Flots, j’en serais follement heureux, car pour moi ce serait réaliser un véritable exploit. Après tout, chacun son métier, chacun ses talents. Cette expérience me fait prendre conscience qu’il serait vain, prétentieux, voire dangereux, d’aller au-delà de mes compétences. Je ne suis pas quelqu’un de compliqué. N’étant pas d’une nature téméraire, je dois me satisfaire de ce qui est à ma portée. Le clocher de l’église qui égrène ses douze coups me sort de mon hébétude. Je me secoue, reprends les rames et me dirige avec énergie vers le port. J’amarre ce que j’appelle pompeusement et fièrement « mon bateau » et marche directement vers la terrasse de mon bar habituel où je suis joyeusement accueilli par ma bande d’amis Je m’assois, commande mon traditionnel Pastis et tout fiérot, j’exhibe les deux belles ampoules qui ornent à présent l’intérieur des paumes de mes mains. Et je me dis que je vais peut-être attendre deux ou trois jours qu’elles guérissent, ces grosses cloques, avant d’entreprendre un plus long trajet ! |
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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet ! |