SAMEDI 1er octobre 2022
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge, année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : la volonté du héros en tant que dynamique d'une histoire

Pour un héros, être déterminé est déterminant ! Ainsi ses motivations doublant ses caractéristiques comportementales (dont la volonté) seront primordiales pour dérouler le fil de son histoire ou pour le mettre en action. De la sorte, un récit gagne en force et en suspense. C'est pourquoi, pour nous, écrivants, qui tentons de relayer cette dynamique, il importe d'investir et comprendre ce feu, cette "niaque" à ombrager, éventuellement, de contretemps et autres coups de mou. Aussi est-ce ce que nous avons exploré lors de cette séance saillante et enrichissante !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire une histoire dont le protagoniste principal devra faire preuve de volonté ; par ailleurs, cette histoire comportera les 10 mots suivants : accoutumer - admiratif - astrologie - borne - Chartres - héritier/ière - insurmontable - mari - parure - plonger.


Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant tout ce en quoi on peut présumer d'une volonté chez un héros a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Une envie de Cantal" de Régis MOULU

 

 

"Une envie de Cantal" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Raphaëlle avait un besoin de verdure, de grandeur, d'abandon, de tourbillons,
Séraphin, son mari, non.
Ces dissensions faisaient fondre leur couple.
Deux mondes apparaissaient.
Son désir à elle semblait ne plus avoir de bornes :
rien n'était « problème »,
tout était « vives excitations »
à un point tel que leur pavillon de Cachan était devenu
un terrain vague :
les affaires courantes avaient envahi l'espace :
leur logis était déjà mort pour elle.

Lui, le voyait, le constatait amèrement, le déplorait,
le traduisait déjà dans les mots déplacés qu'il proférait,
paroles qui trahissaient son inquiétude,
cette violence intérieure
qui progresse comme une atrière.
Peut-être se disloquait-il ?

Comment, en effet, dire adieu
à sa vie d'avant,
à trente ans de crédit immobilier
que l'arrivée à son terme rendait depuis peu et enfin savoureux,
à une histoire d'amour cousue de services rendus
et de complicité consentie,
à une terre locale qui nous plaque dans sa géographie
en nous désignant comme étant ses « dignes héritiers »,
ce qui fait de nous son gardien.
Séraphin se disloquait,
cette soupe de rancœur muée en interrogations lui restant furieusement sur l'estomac,
et ça virait à l'obsession.
Ce soir, ce serait pour lui le moment des remises à plat.
Un western de déballages sans retenues.
Avec meurtre ou suicide éventuel.
Raphaëlle le sentait. Peut-être même l'appréhendait.

Et même si le temps avait eu raison de leurs efforts à se donner de la phrase précise
au point où leurs attentions l'un pour l'autre s'apparentaient désormais à une bien pathétique mécanique,
son œil bénéficiait aujourd'hui de la vivacité de son âme
qui espérait une condition meilleure :
une femme nouvelle pointait, donc,
avec pour seule limite un corps qui ne pourrait suivre cette bascule.
Mais qu'importe, « qui désire peut tout »
s'infligeait-elle
comme pour être assurée de son courage,
somme toute, bancal.
Car cette femme fonctionnait avant tout à l'astrologie.
Quel étrange déclic alors
que de s'en remettre à tout ce fatras interstellaire,
aussi puissant put-il être !
D'ailleurs, elle en avait si honte
qu'elle préféra « s'embourber de mensonges » :
ainsi son envie de Cantal avait fini par se travestir en choix raisonné
sous les traits d'une passion subite pour les moutons,
ces êtres libres de déambuler e harmonieuses constellations,
autant dire tout une philosophie  de vie
qu'obscurcissaient néanmoins quelques clichés beatniks.

Et elle de disserter sur la brebis et son « agneau » le roquefort,
et lui d'en être profondément affligé… bien sûr.

Et si l'on se marie
juste pour s'amuser de pouvoir superposer deux trajectoires,
ô combien il est douloureux avec le temps
qui n'officie toujours qu'en écarteur ou vulgaires ciseaux
de s'apercevoir que ces deux courbes divergent nécessairement,
tragiquement,
funestement.
Nul, en effet, ne saurait dénombrer davantage qu'un point commun :
celui d'avoir eu concomitamment avec l'autre une vision simpliste
et donc assassine des choses,
de cette vision qui précipite un mariage.
« Être admiratif » en prime n'est vraiment que « toquade »
que seule la jeunesse explique.

Raphaëlle s'était assise à la table du salon,
comme pour bénéficier de la solidité
dont sont faits les bronzes.
Elle s'y détache les cheveux
comme si elle pouvait hériter de l'insolence de ses mèches :
sur sa tête trônait toute une flaque d' « aspics-ressorts ».
Nulle parure à son cou,
le toc d'un bijou fantaisie en format dézoomé
ne coïncidant plus avec cette idée de détachement
qui, présentement, la convertissait.
Enfin, elle plaque ses pieds capuchonnés de mocassins souples au sol
comme s'il eût fallu survivre aux secousses de tremblement de terre s'annonçant.
Le tapis persan ne manquerait pas alors, après son départ,
d'afficher les marques de deux flageolets se regardant,
la hauteur du velours y contribuant fortement.

Bien sûr l'idéal aurait été de partir ensemble, en couple,
comme deux squelettes intriqués,
« à la vie, à la mort,
pour le meilleur et pour ce qui nous reste à vivre »
s'enivrait-elle à se répéter,
elle aurait même pu en devenir folle.

Cependant, sur quel amour entre eux
pouvait-elle compter ?
Celui du soin de l'un pour l'autre ?
Celui d'une administration du quotidien bien menée ?
Celui, de toute évidence, qui naît aussi de nos différences sexuées,
cette complémentarité qui instille
curiosité pour l'autre
et renfort de sa propre singularité érigée en exclusivité ?
Mais voilà, quelques amants pour elle
et quelques maîtresses pour lui, même sous la forme résiduelle de simples rêveries,
mitaient le bel édifice de leur union
et les rendaient, en quelque sorte, davantage locataires du corps de l'autre,
pour sûr de moins en moins usufruitiers.
Aussi, déplacer le couple lui parut insurmontable,
dangereux,
peu visionnaire.
« Et puis Séraphin était devenu un gros con »… s'arrangeait-elle à penser.

Pénétrant son esprit, l'image furtive de sa robe de mariée
lui arracha une « larme de grade qualité »,
c'est-à-dire dodue telle une perle nacrée.
Ploc.
La lumière sublimée par les vitraux de la cathédrale de Chartres
où leur union fut scellée
et avec laquelle elle n'eut de cesse jusqu'à aujourd'hui
de se chauffer et se réchauffer déclina,
mourut subitement.
L'obscurité l'envahit
et le désespoir s'attaqua à elle
comme le mildiou finit par avoir raison d'un pied de vigne.

Atteindre le Cantal méritait-il autant de sacrifices ?
Et quand la ville nous oppresse
au point d'allaiter les idées les plus folles,
« acquérir une jardinière » ne pouvait-il pas suffire
dans un premier temps,
n'était-ce pas l'équivalent d'une bonne inspiration,
de celles qui redonnent un peu de hauteur et donc d'esprit,
mais aussi beaucoup d'arrangements souverains
avec soi-même et ses principes.

Il faut dire pour sa décharge ou à sa faveur
qu'en tant que fille unique de quincaillers
elle s'était très tôt accoutumée à la solitude
qui avait fait d'elle une reine… finalement pourrie.

C'est alors que Raphaëlle ressentit un besoin pressant de reconvoquer les planètes
au moyen de son dernier thème astral
qu'elle n'avait que peu étudié.
Elle palpitait
– trop tard, Séraphin, par son ombre,
était déjà entré dans le salon,
et maintenant son souffle en modifiait significativement le climat.

Toutes les phrases proférées furent essentielles, décisives.
D'ailleurs, l'éventail des sentiments humains fut excessivement actionné.
La vivacité des propos devint rapidement « virulence ».
Et puis l'éclat des voix eut pour effet de comprimer le temps :
ainsi se déroulèrent l'air de rien cinq heures d'échanges intensifs, de coups nourris.
Lancinante corrida.
Sérieuse plongée dans l'abîme existentiel.

Et à régler autant de comptes entre eux,
à solder scrupuleusement tous leurs arriérés,
la réalité les remit méchamment à jour.

Aussi ils se découvrirent à l'issue de leur algarade
bel et bien séparés.
Et parce qu'elle lui reprocha
in fine, ne sachant plus en fait quoi lui sortir,
ne pas avoir voulu d'enfants,
ce qu'il voyait, lui, comme étant le plus noble et le plus solide ciment marital qu'il puisse exister,
il la tua.

Dans la poche de Raphaëlle
figurait son dernier thème astral
duquel aurait pu être déduit son homicide.
Dommage.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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